L'aide personnalisée
| le 30/11/-0001 00:00
Un état des lieux de l'aide personnalisée dans les écoles montre qu'elle n'a pas les effets attendus et peut même avoir des...En savoir plus
Mouvement de recherche et de formation en éducation
Tous capables ! Tous chercheurs ! Tous créateurs !
Jacques BERNARDIN
(intervention lors du stage GFEN de Chartres à 30 août 2001) [1]
1) Dans la famille :
Une enquête réalisée en 1990 à Nancy auprès de 1600 jeunes a montré que l'école était pour 67 % d'entre eux le premier objet des échanges familiaux ... et la première cause de conflit selon un tiers des parents interrogés. Le temps consacré au soutien scolaire est important : les deux parents y consacrent en moyenne 25 mn chaque jour, et cela pour chacun de leurs enfants [2]. Selon une enquête DEP réalisée en 1988 auprès de 3000 élèves de fin de 5è, seulement 33 % des élèves disaient ne jamais être aidés, plus de 20 % des familles avaient des contacts réguliers avec les enseignants, et plus de 25 % des adolescents bénéficiaient de cours particuliers.
Importante quantitativement, l'aide semble se différencier en volume comme dans ses formes selon les familles, et pas seulement selon la disponibilité des parents :
- c'est très majoritairement la mère qui aide au travail scolaire, l'intervention paternelle est plus ponctuelle et augmente selon la qualification ;
- quand elles sont au foyer, ouvrières ou employées, les mères font réciter les leçons plus souvent que les mères cadres, mais elles aident moins souvent aux devoirs ;
- enfin, l'intervention des parents semble se différencier selon les sexes : les garçons sont davantage soumis au contrôle (faire réciter les leçons, regarder régulièrement le cahier de textes), quand les filles bénéficient d'une relation plus confiante, et parlent plus souvent de ce qui se passe au collège et de leur avenir professionnel avec la mère (enquête DEP, 1988) .
2) Dans des structures extérieures :
Une enquête réalisée dans la région Rhône-Alpes à la fin des années 1980 auprès de 9400 lycéens et 2000 collégiens montrait qu'entre 20 et 25 % d'entre eux suivaient des cours particuliers, avec des différences importantes selon les établissements (allant du simple au double entre les petits lycées peu favorisés et les grands de centre ville), et selon les filières (allant de 19 % à 50 % dans les filières d'excellence !). Le cours particulier est ainsi utilisé comme un accompagnement ordinaire de la scolarité par plus d'un lycéen sur quatre, dès le début d'année.
Cette forme d'aide est plus répandue dans les milieux favorisés dotés d'un capital scolaire élevé. Cela va du simple au double par rapport aux milieux populaires, qui l'utilisent plus tôt dans une visée de rattrapage (il s'agit de tenir au collège), alors que les premiers visent l'excellence et l'utilisent plutôt au niveau du lycée, cette aide renforçant l'appui familial sans s'y substituer (il s'agit alors de rester bien placés dans la compétition scolaire).
Mis en place dans les années 1982 en direction des élèves issus de l'immigration, ces dispositifs touchent aujourd'hui l'ensemble de la population. On estime que 100 à 120 000 élèves en bénéficient, de la maternelle au lycée. En 1996, environ 6 000 collégiens étaient aidés dans le cadre des Réseaux Solidarité École, lancés de façon expérimentale en 1992 [3]. Visant initialement l'ouverture culturelle (il s'agissait de développer la maîtrise du langage et les outils d'expression pour préparer les enfants à l'apprentissage scolaire), la plupart des dispositifs ont dû intégrer l'aide aux devoirs et l'apprentissage des leçons pour asseoir leur légitimité aux yeux des familles, soucieuses que leurs enfants y aient « faits leur devoirs ».
1) Hors la classe :
Les Réseaux d'Aide Spécialisée (RASED) ont succédé aux Groupes d'Aide Psycho- Pédagogiques (G.A.P.P.) des années 1990 pour prendre en charge de façon ponctuelle ou dans la durée, seuls ou en petits groupes, hors ou dans la classe, les élèves signalés par les enseignants ayant épuisé leurs possibilités d'action.
2) Dans la classe :
Les adaptations les plus fréquemment observées dans les classes pour aider les élèves en difficultés se déclinent en général selon plusieurs modalités : la différenciation, le recours au concret, une présence accrue de l'enseignant auprès de l'élève fragile.
1) Dans la famille :
La mobilisation scolaire des parents est scolairement efficace [4]. L'écoute, l'intérêt soutenu, le suivi des résultats rendent les élèves plus ambitieux, plus investis dans leur travail, avec de meilleurs rapports aux enseignants. Cette mobilisation parentale semble avoir des effets plus sensibles pour les élèves de milieux populaires.
Mais il n'y a pas d'effet mécanique. Les incidences sont positives quand les parents signifient leur intérêt (conversations fréquentes, circulation de la parole, entente et confiance), mais plutôt négatives quand ils interviennent directement dans l'activité de l'enfant, voire très négative quand leur intervention relève du contrôle, a fortiori de la répression (faire réciter ses leçons, punir en cas de mauvais résultats) !
2) Dans des structures extérieures :
Les incidences sur la scolarité peuvent être appréciées à partir de l'évolution des résultats scolaires eux-mêmes, mais aussi en terme de rapport à l'école et aux apprentissages. En ce qui concerne les cours particuliers, l'amélioration est le plus souvent modeste, mais parfois assez sensible. Ces aides semblent avoir une fonction de « réparation » (proximité plus grande et facilité de parler de ce qu'on ne sait pas à des adultes compétents) qui contrebalance l'expérience scolaire lycéenne où se mêlent : rythme trop rapide, incompétence ou élitisme des enseignants, étiquetage des élèves, conflits avec les profs, compétition avec les autres élèves et crainte du jugement des autres. Aidant à reprendre confiance et à retrouver l'estime de soi, les cours particuliers servent aussi la pacification des relations au sein de la famille, en évacuant les conflits tout en signifiant l'attention portée à la scolarité [5].
Les parents de milieux populaires, dans leur majorité, apprécient les dispositifs d'accompagnement scolaire pour la même raison : se sentant soit peu compétents pour intervenir dans la scolarité, soit trop impliqués affectivement et souvent impatients vis-à-vis de leurs enfants, ils avouent que ces dispositifs leur retirent « une bonne épine du pied »...
Qu'en est-il des effets ? Là aussi, on note en général une amélioration du comportement des élèves : réduction ou disparition d'attitudes de rejet ou de refus de travail, moindre absentéisme, reprise de confiance en soi, « réconciliation » avec l'école, voire découverte du plaisir d'apprendre [6]. Il semble beaucoup plus difficile d'évaluer l'effet sur les résultats eux-mêmes. Cela dépend de la durée de fréquentation du dispositif, de l'horizon que l'on considère (immédiat ou à plus long terme ), tout en sachant qu'il est difficile de sérier les parts respectives prises par les différentes instances (famille, école, dispositif d'accompagnement). Selon les données disponibles, il semblerait que ces dispositifs ne profitent pas toujours ou d'abord aux élèves auxquels ils avaient initialement été définis et mis en place, et que les progrès constatés soient « d'autant plus importants et fréquents que les difficultés étaient initialement moindres » [7]. Comment l'expliquer ? Des observations ont montré que si les élèves en profitent pour « se mettre en règle » avec les exigences scolaires, certains ne font bien souvent que « liquider leurs devoirs » en instrumentant les adultes afin de leur extirper les réponses, sans profiter de l'occasion pour travailler ce qui était incompris ou pour asseoir la notion en jeu...
Les évaluations régulières du dispositif « Coup de Pouce » sur Saint-Denis (qui s'adresse à des élèves de fin de GS maternelle et de CP), rendent compte de déplacements importants en terme de rapport à l'écrit, d'intérêt pour les livres, de mobilisation en classe. Ces évaluations comportent par ailleurs, trois mois après que les élèves aient quitté le dispositif, une épreuve de lecture compréhensive fin CP, ce qui permet de comparer les résultats des élèves en ayant bénéficié à ceux des autres élèves de leurs classes respectives. Si avec régularité, la moitié des élèves touchés par les clubs sont considérés bons ou assez bons lecteurs en fin d'année alors qu'ils étaient jugés fragiles en début d'année, on s'aperçoit aussi que les résultats sont notablement différents selon les sites, mais aussi parfois radicalement dissemblables d'une classe à l'autre sur un même site, les résultats des clubs étant régulièrement corrélés à ceux de la classe dont proviennent les élèves accueillis ! Ce qui amène à penser que jamais aucune action d'accompagnement ne pourra se substituer au travail de fond qui revient légitimement à l'école... Autre paradoxe de cette action d'accompagnement qui, en plus des élèves, vise à permettre l'implication parentale dans le suivi scolaire : la fréquentation des familles tend à décroître, alors même que le dispositif est plébiscité ! Comment l'expliquer ? En écoutant les propos des parents, on s'aperçoit que plus ils se sentent démunis, plus ils dévalorisent leur propres capacités éducatives, et délèguent à l'école et à ce qui apparaît comme structure « officielle » - donc légitime - tout ce qui concerne les apprentissages scolaires : « ici, les enfants sont très bien encadrés » ; « c'est bien, continuez » ; « on fait confiance »... nous disent-ils !
Tous ces dispositifs, qu'ils soient d'initiative privée ou mis en place et soutenu par des municipalités n'ont cessé de se multiplier ces dernières années. Alors que son existence devait être éphémère et le recours à ses services exceptionnel, l'accompagnement scolaire s'installe dans le paysage éducatif de façon durable, avec de multiples indices d'un processus de professionnalisation : pérennité des structures désormais soumises par convention à une réglementation qui se standardise ; financements régulièrement reconduits et intégrés dans les budgets des collectivités locales ; développement de la formation pour ceux qui jusqu'ici étaient dans une démarche de type militante et bénévole... Ce qui devrait interroger l'institution scolaire : quelle légitimité de celle-ci quand il faut de plus en plus de hors l'école pour réussir à l'école ?
1) Hors la classe :
Avant d'aborder les effets des structures d'aide, il me semble important de rappeler quelques éléments historiques ayant présidé à la mise en place des classes spécialisées. Quand, avec la mise en place de l'école publique, la scolarisation pour tous devint la règle, il fallut bien expliquer les difficultés que rencontraient certains élèves. Pour les scientifiques du début du siècle dernier appelés à s'y pencher, les difficultés rencontrées par l'enfant sont le signe d'une anormalité, d'un dysfonctionnement personnel ou familial. Plusieurs termes ont été successivement utilisés pour en rendre compte : « non-doué », « handicapé », « déficient »... autant de catégories discutables, non seulement parce qu'elles fluctuent selon les pays et les époques, mais aussi parce cette terminologie médicalisée peine masquer une réalité sociale qui perdure : c'est dans les milieux les plus pauvres que se recrutent les élèves des classes spécialisées. Qu'y a-t-il derrière l'argumentation scientifique justifiant l'institution des classes spéciales au début du siècle ? La cristallisation dans l'institution du « sentiment de défense sociale, pour chercher à diminuer le nombre de ceux qui plus tard seront des inutiles et pourront devenir des nuisibles », selon les termes d'Alfred Binet en 1907, pour qui ces questions « mettent en jeu l'avenir de notre race et l'organisation de notre société »[8], dans une société soucieuse à déjà à d'augmenter le rendement économique en mettant chacun « à sa vraie place ». Pour certains, cette place est grandement prédéterminée. Ainsi que l'affirmait le même Binet en 1909 : « nos cancres (...) sont faits pour le travail manuel », lui qui remarquait par ailleurs : « la vocation manuelle se rencontre si souvent dans la classe ouvrière.» [9]
Quand aux effets, à chaque fois que l'on a créé des structures spécialisées, non seulement on les a remplies, mais elles se sont rapidement avérées insuffisantes... et rares sont les élèves qui en sont sortis. Ce qui a amené à réfléchir à des structures de prise en charge plus souples, chargées d'intervenir plus ponctuellement, en évitant de soustraire les élèves de leur classe d'origine : les Groupes d'Aide Psycho-Pédagogique étaient nés.
Si l'histoire des RASED est trop récente pour qu'on dispose d'études sur leurs effets, on se souvient par contre sans doute de l'étude d'Alain Mingat de l'IREDU de Dijon en 1990, qui évaluait le fonctionnement des G.A.P.P. et les effets des rééducations entreprises au C.P., étude qui, à l'époque, avait fait couler pas mal d'encre, et fut très contestée... Que montrait-elle ? À partir d'un échantillon de 18 G.A.P.P. de la Cote d'Or et de 102 classes de C.P., ce rapport mettait en évidence que l'admission en rééducation était d'autant plus fréquente que le milieu social était défavorisé. Par ailleurs, il ressortait que les élèves rééduqués, au cours du C.P., avaient progressé moins que leurs homologues du début de l'année (élèves de même profil) qui n'avaient pas suivi d'activité de rééducation ! L'effet de rééducation par rapport à ces acquisitions s'avérait spécialement négatif pour les élèves initialement non faibles, effet qui était accentué selon que le temps de rééducation était plus important ou que celle-ci s'était déroulée selon le mode individuel. Cette étude fut violemment contestée dans la profession car elle semblait justifier le manque de structures spécialisées, alors que les demandes de prises en charge tendaient à augmenter. (On négligea à l'époque le fait que l'évaluation notait aussi d'importantes différences dans les pratiques et que dans 2 des G.A.P.P. étudiés, les rééducations entreprises avaient eu un effet positif et significatif, montrant qu'il n'y avait pas de « fatalité institutionnelle ») [10]...
Quelles hypothèses les auteurs de cette études faisaient-ils pour expliquer ces résultats ? Selon eux, deux raisons pouvaient avoir été des facteurs défavorables : d'abord la réduction du temps d'apprentissage pour des élèves qui ont besoin d'un temps plus long, ensuite la notion d'étiquetage ou l'effet Pygmalion, qui fait que l'enfant admis en rééducation est identifié à et s'identifie lui-même à comme un élève «à problèmes ». Toute structure de soutien court ainsi le risque de renforcer la stigmatisation, de fragiliser l'image que les élèves ont de leurs propres capacités.
Trois grandes modalités adaptatives sont généralement employées dans les classes, afin de prendre en compte les élèves ayant des difficultés, modalités pouvant par ailleurs être associées :
On cherche à s'adapter à ce qu'on estime être les capacités des élèves. Le problème, c'est que cela ne fait guère bouger les choses, a même tendance à installer la différenciation dans la permanence, voire à la renforcer ! Qu'on les appelle ainsi ou pas, c'est souvent dans une logique de groupes de niveaux que la classe s'organise, dont Jean Foucambert a évalué les effets dans une étude de l'INRP en 1977, montrant que c'était sans doute la pire forme d'organisation, puisqu'elle tendait à accroître les écarts entre élèves. On peut faire l'hypothèse que là encore, l'effet Pygmalion joue, croisé avec des propositions de travail différentes, consistant à demander moins à ceux qu'on estime être capables de moins... et qui ont tôt fait de se conformer au degré d'attentes et d'exigences ainsi concrétisé.
On peut actualiser ce constat dans le domaine de la lecture. Bernard Lahire constate ainsi dans les classes observées en France (et cela rejoint des études américaines), que l'on propose aux bons lecteurs de travailler sur des textes de façon autonome en visant la compréhension à travers les exercices proposés quand, avec les faibles lecteurs, on travaille sur de petites unités (revoir les sons, lire des mots), au risque de renforcer les malentendus sur la nature de l'activité lecture [11]. Comme si savoir déchiffrer assurait la compréhension, comme si la lecture successive des mots d'une phrase suffisait à en saisir le sens, ce qui renforce l'idée d'un écrit n'étant qu'un simple calque visuel de l'oral, et d'une modalité de lecture qui pourrait faire l'économie de l'activité intellectuelle et de l'intelligence du lecteur.
L'hypothèse que l'on peut faire ici, c'est que la différenciation est souvent traduite en simplification, ce qui contribue à émietter les propositions faites aux élèves, renforçant la tendance déjà plus forte chez les élèves en difficulté à vivre l'école dans un morcellement des tâches sans qu'il y ait lien entre elles ni régulation par une identification claire des buts visés. Fractionnement tel que ce qui fait habituellement unité de l'activité (dans les pratiques sociales de lecture par exemple) se trouve atomisé et vidé de ses enjeux, ce qui contribue à creuser la perte de sens au lieu de la réduire...
La pédagogie de l'activité était très en vogue dans les classes de Perfectionnement et dans les classes de Transition. Il était entendu que pour ces enfants là, il fallait du concret, les faire manipuler... Or, cela ne suffit pas à les faire décoller du « bidouillis » ou de la pratique. Les élèves peuvent être très impliqués dans le « faire »... mais continuer de résister à la compréhension. Ainsi cet enseignant en mathématique de SEGPA se plaignant que ses élèves n'arrivaient pas à faire des conversions de mesure (du type 215 cm = 2 m et 15 cm), alors que son collègue prof d'atelier affirmait que les mêmes ne se trompaient jamais lorsqu'il leur demandait d'aller chercher une porte de 215... Dans les classes, cette convocation du « concret » non seulement ne les aide pas toujours, mais peut y compris les détourner de l'enjeu conceptuel, parasiter l'élaboration intellectuelle en réactivant l'expérience sensible ou la sphère affective (les fameux problèmes mettant papa ou maman en jeu, ou le partage de bonbons et de billes en utilisant le prénom de tel enfant de la classe... qui du coup ne désire plus qu'une chose : avoir le bonbon qui reste !)
Certains projets, confondant le résultat avec le but éducatif, sont en quelque sorte la forme institutionnalisée de cette pédagogie de l'activité. Plusieurs études (dont le rapport Moisan-Simon sur les ZEP) ont montré que l'implication parfois très forte dans les projets ne garantissait pas des incidences significatives dans les cours plus ordinaires, voire pouvait en détourner les élèves.
J'évoquerai aussi une expérience récente, toujours actuelle : les ateliers scientifiques mis en place à grand frais par un Conseil Général de la région parisienne afin que les élèves d'établissements secondaires ne « décrochent » pas de la scolarité... Un séminaire a été organisé à l'intention des chefs d'établissements du département concerné, afin de leur en présenter les résultats. Ce séminaire avait pour thème la question des transferts cognitifs. Pourquoi ? Parce que l'évaluation réalisée par Jean-Pierre Astolfi et son équipe sur ces ateliers montrait que si les élèves étaient très mobilisés sur les différentes activités (karting, lancement de fusées, etc.), le passage à la réflexivité et à la conceptualisation restait par contre problématique, et qu'il y avait peu voire pas de réinvestissement au quotidien des cours, ni sur le plan conceptuel, ni sur celui de l'investissement des élèves !
Autre modalité fréquente d'aide dans les classes et ô combien louable : une attention redoublée aux élèves fragiles, se traduisant par une plus grande présence physique auprès de ceux-ci, ou par des regroupements ponctuels, ou bien encore par une sollicitation plus tangible à leur égard que vis-à-vis du reste de la classe.
Le problème, c'est que plus ça va... moins ça va ! Il faut être de plus en plus présent, certains élèves finissent même par ne plus travailler que lorsque l'enseignant est près d'eux, « à leur service ». Sinon, ils ne font rien et attendent... Les professeurs de collège qui font bénéficier leurs élèves d'heures de soutien (maintenant prévues dans les établissements) font le même constat : « ils ont une heure en 6è, mais il en faudrait deux en 5è, trois en 4è... ». Ils constatent que certains élèves ne font plus rien en cours... comme s'ils attendaient l'heure de soutien, leur promettant un apprentissage personnalisé. Ainsi, l'aide se mord la queue et se nourrit d'elle-même, accroissant la demande au lieu de l'apaiser, alimentant la dépendance alors qu'elle ne cherche qu'à en soustraire les élèves. Quelles hypothèses peut-on avancer ici, qui pourrait expliquer ce paradoxe ?
L'effet Pygmalion est sans doute là encore à l'œuvre. La logique caritative, le regard misérabiliste ou condescendant sur le « pauvre enfant » renforce et fige la faible estime de soi qui est le lot à plus souvent qu'à d'autres à des élèves ou adultes en difficulté. Plus on cherche à m'aider, plus je suis persuadé que l'autre m'estime incapable d'y arriver seul, et moins j'ose essayer, trop sûr de me tromper...
D'autre part, cette présence accrue fait fructifier le malentendu quand à la posture nécessaire pour apprendre. Les travaux de l'équipe E.S.COL. ont largement montré - et ce, à tous niveaux - que le rapport épistémique au savoir des élèves scolairement fragiles se caractérise par l'idée qu'apprendre, c'est écouter, faire ce que dit l'enseignant, heure après heure et jour après jour, dans un rapport de dépendance forte à l'adulte sur les épaules de qui ils imaginent reposer les clés de la réussite. Ce parasitage excessif de la dimension affective dans la relation pédagogique fait obstacle à la recherche de l'autonomie et à l'émancipation intellectuelle.
L'enfer, on le voit, est pavé de bonnes intentions. Oui mais alors, que faire ?
Quel type d'aide imaginer pour qu'ils puissent s'en passer le plus tôt possible ?...
[1] Intervention qui reprend certains éléments de l'article intitulé « Accompagnement scolaire : suffit-il de faire ses devoirs ? », paru dans la revue Dialogue n° 91 « je t'aide, moi non plus » - hiver 1998, p ; 7-13.
[2] Enquête nationale menée en 1992. Cf. Jean-Pierre TERRAIL, La Scolarisation de la France. Critique de l'état des lieux, la Dispute, 1997.
[3] Cf. Les Réseaux Solidarité École. Un dispositif d'accompagnement scolaire pour les élèves de collège, Institut de l'Enfance et de la Famille (IDEF), 1996.
[4] Cf. Jean-Pierre TERRAIL, « Les familles confrontées à l'école », in La Scolarisation de la France, op. cité, p. 89-103.
[5] Dominique GLASMAN, « La scolarisation hors l'école », dans La Scolarisation..., op. cit., p. 141-155
[6] Dominique GLASMAN, L'école hors l'école. Soutien scolaire et quartiers, éd. ESF 1992.
[7] Jean-Yves ROCHEX, « Soutien scolaire, rapport à l'école, rapport au savoir », dans 16 H 30, n° 10, FAS-CNDP, déc 96-janv 1997.
[8] BINET et SIMON, Les enfants anormaux, guide dunicode2utf8(0x2018ad)mission pour les classes de perfectionnement, Paris, Armand Colin, 1907.
[9] Alfred BINET, Les idées modernes sur les enfants, Paris, Flammarion, 1909.
[10] Évaluation de l'IREDU (Institut de Recherche sur l'Economie de l'Education) dont on peut trouver l'écho dans la revue L'École Libératrice n° 13, en date du 15 décembre 1990.
[11] Bernard LAHIRE, Culture écrite et inégalités scolaires. Sociologie de l' « échec scolaire » à l'école primaire, Lyon, PUL, 1993, en particulier, p. 113-115.
Un état des lieux de l'aide personnalisée dans les écoles montre qu'elle n'a pas les effets attendus et peut même avoir des...En savoir plus