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    Les malentendus face à l'apprentissage

    Les malentendus face à l'apprentissage

     Colloque Lire-écrire « Accompagnement à la scolarité et réussite des apprentissages »
    samedi 29 novembre 2003 à Université Lyon 3

    Jacques BERNARDIN
    (ESCOL Paris VIII / GFEN)

    Le constat réitéré d'une fragilité face à l'écrit tendanciellement plus fréquente et plus conséquente chez les élèves issus de milieux populaires incite à croiser les travaux de psychologie avec un éclairage plus sociologique pour tenter d'en rendre compte.

    Si ce sont bien à chaque fois des sujets irréductiblement singuliers qui sont confrontés à des apprentissages culturels, ils sont néanmoins porteurs d'une histoire familiale elle-même inscrite dans un paysage social. Antérieurement puis parallèlement à la scolarité, la famille a à de façon explicite ou implicite à initié l'enfant à la signification et à la valeur des choses, à des façons de penser et de parler le monde... et d'y désigner sa place. Redevable aux expériences et échanges réalisés dans l'espace familier, cette grille interprétative du réel est « invisiblement présente ». Constitutifs de leur rapport à l'écrit, trois points clés méritent un éclairage de ce point de vue, afin de mieux comprendre les attitudes et les difficultés récurrentes des élèves qui nous préoccupent, aux divers niveaux de la scolarité :
    - les raisons de lire et d'apprendre à lire ;
    - les difficultés pour accéder à la logique du système graphique ;
    - le problème de la compréhension.

    A- TENTER DE COMPRENDRE L'ORIGINE DE LEURS DIFFICULTÉS

    I/ L'envie d'apprendre
    Pour élaborer et étayer le projet d'apprendre, l'enfant doit percevoir l'utilité de l'écrit et les bénéfices personnels qu'il peut en tirer. Ce qu'il peut faire en observant les usages ayant cours dans son environnement et/ou en s'identifiant à des pratiquants de l'écrit.

    1) Identifier des usages.
    Ce n'est pas un hasard si, interrogés en début de CP, certains enfants expliquent leur fort désir d'apprendre par l'envie de faire « comme les grands », comme les aînés ou les parents qui visiblement y trouvent intérêt et plaisir, ou bien disent avoir hâte d'apprendre pour « pouvoir lire des histoires seuls » ou encore pour explorer « les livres, parce qu'il y a plein de choses intéressantes dedans ». L'envie d'investir la lecture sera d'autant plus forte que l'on a côtoyé de multiples supports, dans une pluralité de situations et à des fins diverses.
    Or, d'autres enfants semblent avoir une expérience bien différente. Quand ils énoncent « papa, il lit jamais » ou « maman, elle a pas de livres », on pourrait prendre ces propos au pied de la lettre et trouver à peu de frais une justification de leur faible investissement à l'égard d'une pratique si peu « vitale », une preuve renouvelée du fameux handicap socio-culturel. Y aurait-il ici des pratiques moindres qu'ailleurs ?...
    Les travaux de sociologie nous invitent à la prudence interprétative, car elles peuvent aussi être « invisibles ». Dans les milieux populaires en effet , les pratiques du lire-écrire sont indissociables du contexte où elles s'imposent : on note l'heure du rendez-vous chez le médecin, on cherche l'heure de l'émission qui intéresse, on attend/redoute le courrier, on passe commande sur le catalogue, on recherche la promotion intéressante dans le prospectus publicitaire, on explore les annonces dans le journal, on repère le nombre de points pour le tricot... mais « on ne lit pas » ! Incorporée à une situation spécifique qui la légitime et tendue vers un objectif précis, la lecture est une pratique qui s'ignore comme telle . Ce sont d'autant moins des pratiques énonçables que le passage par l'Ecole a appris ce que lecture veut dire, désignant ce qui est légitime et ce qui ne l'est pas : lire, ça ne peut être que lire un « vrai » livre, et plutôt un roman qu'un manuel de bricolage ou des recettes de cuisine . Comment les enfants pourraient-ils identifier seuls des actes de lecture déniés en tant que tels par leurs proches ?
    Cet aveuglement vis-à-vis des pratiques et cette illégitimité des supports familiers dignes d'être promus vont parfois de pair avec des représentations discutables des besoins et des capacités du jeune enfant, jugé a priori trop immature pour être confronté à des livres. Pour certains parents, c'est inutile « tant qu'il ne sait pas lire » ou parce qu' « il est trop petit pour comprendre », ce qui explique qu'ils n'envisagent d'aller à la bibliothèque ou de lui acheter des livres que « quand il saura lire » . Les parents n'ayant eux-mêmes pas ou peu fréquenté l'école saisissent mal l'importance de l'expérience culturelle précoce. En matière d'initiation à l'écrit, quand tout n'est pas délégué aux professionnels scolaires ou péri-scolaires (par peur de ne pas savoir ou de mal faire), domine une conception très instrumentale des pré-apprentissages susceptibles d'aider l'enfant : on lui apprend les lettres de l'alphabet et les rudiments de la combinatoire, mais la lecture et l'échange autour des livres sont plus rares.

    2) S'identifier à des pratiquants de l'écrit
    Les modèles parentaux comptent beaucoup pour l'enfant à la recherche de repères pour se construire. Or, si les pratiques culturelles sont différenciées selon les univers sociaux, elles disent aussi où l'on est, où chacun se situe. Annie Ernaux, issue d'une famille modeste et devenue enseignante de Français, se souvient des paroles marquantes de son père sur ce point: « Les livres, (...) c'est bon pour toi. Moi je n'en ai pas besoin pour vivre » .
    Autrement dit, à la moindre visibilité et légitimité des pratiques culturelles se superpose une dimension plus subjective du rapport à l'écrit qui concerne l'identité même, et révèle la place qu'on s'attribue dans l'espace social. S'emparer du langage et des codes de l'école, s'affilier au rapport à la culture qui y prévaut, c'est en quelque sorte - pour celui qui n'y a pas baigné depuis l'enfance à passer dans l'autre camp : « J'étais passé dans un autre monde (...) tout ce qui me touche de près m'est étranger (...) L'univers pour moi s'est retourné » . L'entrée dans l'écrit peut ainsi être source de blocage subjectif, ce qui pose la question de l'autorisation que l'enfant ressent à son égard dans les discours comme dans les non-dits familiaux. Certes, l'immense majorité des parents à de milieux populaires y compris à désirent que leur enfant réussisse à l'école. Néanmoins, il arrive que ces messages parentaux soient plus ambivalents qu'ils n'y paraissent à première vue : va-t-on encore pouvoir se parler et s'entendre, au sens fort du terme ? (« Il n'osait plus me raconter des histoires de son enfance. Je ne lui parlais plus de mes études ») Ne risque-t-on pas de perdre notre enfant, se demandent les parents inquiets pour le futur (« ... et toujours la peur OU PEUT-ETRE LE DÉSIR que je n'y arrive pas » ).
    L'envie d'apprendre peut ainsi souffrir du manque de visibilité des pratiques de l'écrit, mais aussi de ce qu'a « entendu » l'enfant - de façon implicite - dans son univers familier.

    II/ (Re) construire le système écrit
    Outre cette dimension culturelle (...et identitaire) concernant ses mobiles d'apprendre, l'apprenti lecteur va être confronté à l'appropriation d'un système symbolique complexe convoquant son intellect. On a coutume de dire que certains enfants sont moins « mûrs » que d'autres pour apprendre à lire. Cela ne serait-il affaire que de développement intellectuel singulier sans rapport avec les apprentissages et le vécu de chacun ? Quelle part l'expérience personnelle, dans sa partie socio-familiale, prend-elle dans le développement ?

    Pour Emilia Ferreiro, les études de psycholinguistique concernant l'acquisition de l'écrit amènent à abandonner le mythe selon lequel il y aurait une transparence du principe alphabétique telle qu'il suffirait d'une explication adéquate pour qu'il soit saisi ... Ce que les praticiens de l'école constatent régulièrement, avec tous ces enfants qui « résistent » à l'évidence du code qu'on cherche - pourtant avec constance et détermination voire acharnement - à leur enseigner.
    L'apprentissage ne se réduit donc pas à l'acquisition d'un système de codage (il suffirait alors d'entraîner suffisamment à la technique pour que ça marche... à tous coups !), il exige de l'enfant qu'il comprenne un système de représentation, ce qui relève du domaine conceptuel. Les recherches convergent sur l'idée d'étapes, d'hypothèses successives des enfants sur la façon dont s'organise et fonctionne l'écrit . Si, comme le soutient Vygotski, l'apprentissage est en lien d'influences réciproques avec le développement, ce dernier dépend lui-même des expériences précoces « spontanées » ou provoquées de l'enfant avec l'écrit. Or sur ce point, les expériences cumulées par les élèves antérieurement et parallèlement à l'école sont diverses, toutes n'étant pas également opératoires pour entrer dans la logique de l'écrit.

    Cet apprentissage exige en effet une posture particulière face à la langue. Dans les expériences langagières précoces, le jeune enfant est immergé dans la situation d'échange. Soucieux de se faire comprendre, il est préoccupé essentiellement par ce qu'il veut dire, dans une pratique du langage qui s'ignore comme telle. Or, s'interroger sur la façon dont la langue fonctionne exige de pouvoir mettre celle-ci à distance, de devenir attentif à ses aspects formels de façon relativement indépendante du contenu (que ce soit pour saisir la spécificité de la segmentation écrite, devenir sensible à l'aspect sonore du langage ou bien encore comprendre le rapport que certains ensembles graphiques à arbitraires et pour certains non signifiants à entretiennent avec l'oral).
    Pour qu'ils maîtrisent la langue écrite, l'école demande ainsi aux enfants de s'extraire d'un rapport familier, pragmatique au langage pour se centrer sur le fonctionnement d'un système qui n'était jusqu'ici que le support insu d'échanges tendus vers l'intercompréhension. Autrement dit, il faut que l'apprenti quitte sa posture d'usager pour adopter celle de grammairien vis-à-vis de ce avec quoi il parle, qu'il passe de l'exercice du langage à la conscience de la langue... ce à quoi tous n'ont pas été également entraînés.
    Alors qu'elle est interrogée sur la façon dont s'était préparée l'entrée à la grande école dans la famille, une maman (enseignante, faut-il le préciser ?) explique ainsi que, outre l'éveil de la curiosité tous azimuts et une disponibilité face aux questions de l'enfant, il lui était fréquent à la maison de « délirer, de jouer avec les mots, d'inventer des choses » en y associant son enfant... Pratique bien dissemblable à ce qui prévaut dans d'autres familles où, si la parole est fréquente, elle est attachée aux situations et activités qu'elle soutient ou commente, familles où l'on répugne à « parler pour ne rien dire » et où la parole se prend rarement comme fin.
    Cela pourrait expliquer la difficulté de certains élèves, trop englués dans un rapport oral-pragmatique au langage, à participer aux jeux phoniques dès la maternelle (bouts rimés, etc.) et de façon plus générale mal à l'aise quand il s'agit d'interroger l'écrit en tant que système. Lors des activités réflexives sur la langue, on constate fréquemment un parasitage du travail sur la forme par une attention trop prégnante au contenu des écrits supports , une difficulté récurrente de leur part à se décentrer vis-à-vis de sa dimension sémantique, ce qui est pourtant indispensable pour s'intéresser à des aspects plus linguistiques.

    A contrario, celui qui a l'occasion de faire sortir le langage de ses rails familiers en manipulant ses formes dans divers jeux de langage explore, dans ces chemins de traverse, d'autres univers. Autrement dit, l'émancipation du sens commun permet de jouer avec les structures du langage... mais pour un retour ouvrant à de nouvelles significations insolites, ce qui est le propre de l'exercice poétique. Et ce faisant, l'enfant accroît sa conscience du fonctionnement de la langue en testant les limites des transformations qu'elle supporte.

    III/ Comprendre la nature de l'activité lecture
    Si les uns peinent à entrer dans la logique du code (en ne mobilisant que la mémoire et en persistant dans la lecture-devinette) quand d'autres s'y enferrent (sans contrôle de leurs propositions, aveugles aux aberrations et peinant à comprendre), cela pourrait accréditer la thèse d'une difficulté toute particulière à jouer d'un registre à l'autre. Or, pour devenir efficace - et cela ne va pas d'évidence pour les apprentis -, le lecteur doit naviguer constamment entre code et sens. Attentifs à l'un, les lecteurs précaires ont visiblement du mal à prendre l'autre en compte, comme s'il y avait conflit de centration. Ces limites des capacités d'attention peuvent relever du développement, mais la permanence de cette tendance avec des élèves plus âgés invite à interroger parallèlement une autre hypothèse explicative : leur conception de l'activité lecture elle-même. Certes, l'automatisation des tâches de bas niveau permettra de libérer les apprentis pour des opérations de haut niveau , mais encore faut-il que tous les élèves comprennent la nécessité de conjuguer les deux.

    L'usage de l'écrit (que ce soit pour lire ou pour écrire) exige de faire sans l'autre et de « gérer » cette absence. Faire sans l'autre, c'est une rupture majeure par rapport aux situations langagières orales familières à l'enfant. En effet, ce qui caractérise la communication orale, c'est la régulation « à chaud » de la compréhension, grâce à des allers/retours verbaux et non verbaux entre les interlocuteurs. Il y a construction conjointe du discours et de la signification, dans un contexte partagé permettant certaines connivences interprétatives : clins d'œil, non-dits, phrases inachevées, silences significatifs, expressions faciales et postures corporelles sont en permanence à l'œuvre pour interpréter convenablement « ce qu'il faut comprendre »... Rien de tel dans la situation de communication écrite.
    Lire exige une reconstruction différée et autonome de la signification. Pour la produire, il faut mobiliser tous ses acquis : connaissances diverses sur la langue d'une part, sur l'univers du sujet traité d'autre part, pour faire des hypothèses et positionner le contexte qui échappe à l'ici et maintenant. Seul devant une construction formelle, un discours auto-suffisant, « sans co-construction possible de la signification, (...) discours-monologue avec un interlocuteur imaginaire ou seulement figuré » selon les termes de Vygotski, le lecteur doit maintenir la tension entre prise d'indices et recherche de signification : prendre des informations dans une première exploration d'éléments divers dans le texte, s'en faire une idée, puis y revenir de façon exigeante pour vérifier ses hypothèses pas à pas dans une attention soutenue à l'ensemble des indices, car tous les niveaux concourent à « faire sens » : type de support, genre d'écrit, mode de découpage du texte, organisation syntaxique, choix lexicaux, marques morphologiques, connecteurs, ponctuation...
    Or, les élèves qui nous préoccupent ont du mal « tout à la fois à produire du sens sans dialogues, face à un monologue figé, et à maîtriser les articulations propres à un texte de lecture » (gestion des connecteurs logiques et temporels, références des pronoms, etc.) . Les enseignants parlent en effet d'élèves qui déchiffrent parfois assez bien mais sont « passifs face aux textes », ne font « pas attention aux marques orthographiques, grammaticales ni à la ponctuation », ont du mal à « saisir la permanence des personnages », à « relier leurs actions aux intentions sous-jacentes », à reconstituer ou se situer dans la chronologie des récits lus... Mais où ont-ils eu l'occasion de l'apprendre ?

    Il devient banal d'évoquer l'importance des lectures partagées précoces, d'échanges autour de récits imaginaires, qui cumulent une pluralité de bénéfices. Cette pratique à la fois chaleureuse et socialement valorisée contribue à développer l'envie d'apprendre, constitue un arrière-fond référentiel de mondes imaginaires, familiarise avec un genre discursif particulier : récits longs soutenus par une macro-structure spécifique, un jeu des temps verbaux, l'usage de pronoms et de connecteurs permettant d'éviter les répétitions, d'organiser la succession des évènements et d'assurer la cohérence d'ensemble, etc. En outre, l'enfant bénéficie d'aides souples et personnalisées pour comprendre ces énoncés plus complexes qu'à l'oral... Mais cette pratique à chacun l'imagine - n'est pas aussi familière aux uns qu'aux autres.
    Des études ont confirmé c'est dans les milieux où les parents sont dotés des plus forts diplômes que les échanges familiaux sont les plus fréquents et les plus étroits sur les problèmes de lecture. Dans l'interaction orale avec leurs parents, certains enfants sont très jeunes incités à reprendre et préciser leurs propos d'une part, et bénéficient de fréquents échanges autour des livres lus d'autre part, ce qui double l'initiation à la langue de l'écrit d'un accompagnement à la compréhension. Une telle aide « invisiblement présente » est « impliquée dans la résolution apparemment autonome du problème » par certains élèves , qui arrivent à l'école en étant plus familiarisés que d'autres aux démarches discursives adéquates au traitement de ces énoncés écrits.

    B- COMMENT TRANSFORMER LEUR RAPPORT À L'APPRENTISSAGE ?

    Si c'est autour de l'écrit que se cristallisent les difficultés, celles-ci concernent néanmoins le rapport plus global à l'apprentissage de sujets mis à l'épreuve par l'expérience scolaire.
    Pour restaurer une dynamique positive, il est indispensable de lever certains malentendus en matière d'écrit et de lecture, mais aussi de développer conjointement un étayage à la fois identitaire, culturel et cognitif afin que les élèves « en fassent leur affaire ».

    I/ Pour une stratégie d'ensemble

    1) Sur le plan identitaire : (Re)Conquérir l'estime de soi.
    Ceux qui ont accumulé les difficultés à qu'ils soient enfants, adolescents ou adultes à sont généralement fragilisés par ces expériences négatives cumulées et manquent de confiance en eux, ce qui amène à un désinvestissement croissant. D'où l'importance de l'accueil bienveillant de leurs propositions, de la dédramatisation des erreurs et des encouragements, facteurs de sécurité. On connaît mieux l'effet des attentes , les incidences du regard porté sur l'apprenti qui, se traduisant en « traitement » verbal et non verbal différencié (à divers niveaux : contenu, sollicitations, feed-back, climat des échanges, etc.), contribue à modifier l'estime de soi et la motivation.
    Si l'instituteur veut, comme l'étymologie du terme y renvoie, « instituer de l'humain », son action ne peut se réduite à une somme d'actes professionnels, elle exige d'être guidée et soutenue par une posture éthique. Ainsi que l'écrivait Henri Wallon : « Un regard qui scrute pour trouver la marque du manque impose à l'enfant un statut péjoré. Un regard qui ne cherche en l'enfant qu'un devenir instaure une dynamique de rencontre ».
    Le contenu et le niveau des propositions d'activités contribuent à faire dérailler les logiques d'échec. Contrairement à ce qu'on pourrait croire, ce n'est pas en étant confronté à des tâches faciles que les sujets se reconstruisent, mais en relevant des défis. Quel que soit le domaine investi et le contenu d'apprentissage visé, la réussite face à une activité initialement appréhendée comme difficile est un tremplin potentiel pour l'élargissement à d'autres réussites, dans le même champ ou dans d'autres .

    2) Sur le plan culturel : étayer l'envie d'apprendre
    Pour l'enfant, l'envie d'apprendre à lire peut se nourrir de plusieurs choses :
    - de ce que font les grands, d'où l'importance de réhabiliter les lectures « ordinaires », les usages multiformes de l'écrit dans l'espace familial et dans l'environnement en les dévoilant (exploration à laquelle les parents peuvent être associés) ;
    - de ce qui s'impose parce que cela apparaît indispensable pour réaliser ce qu'on a projeté (lire pour faire un jeu, bricoler, jardiner, cuisiner...) ;
    - de ce qui préoccupe, émeut, étonne, amuse, surprend, interroge... Ce qui amène à choisir avec un soin tout particulier les objets à lire. Dans le champ littéraire, l'expérience de Serge Boimare avec des élèves en grande difficulté nous invite à proposer des œuvres ambitieuses, au contenu humainement dense . La littérature enfantine est désormais riche de récits pouvant capter l'intérêt des élèves, susceptibles de faciliter des phénomènes d'identification aux personnages. De façon complémentaire, tout ce qui est de nature à développer des questionnements sur le monde peut fournir l'occasion d'une découverte majeure pour certains : les réponses se trouvent souvent dans les livres (qu'ils soient documentaires, atlas, encyclopédies enfantines ou dictionnaires). L'exploration de la revue ou du journal auquel on est abonné peut également initier de nouveaux centres d'intérêt.

    Pour les autodidactes, la réussite de l'apprentissage est moins affaire de technique que de curiosité face au monde : la volonté d'apprendre, déterminante, peut naître du constat d'impuissance à pouvoir explorer seul tel ouvrage aux illustrations attirantes mais insuffisantes pour comprendre la totalité du récit, et la passion pour l'histoire et la géographie être consécutive à la lecture de romans d'aventure et de chevalerie .
    Toutes les expériences ouvrant les yeux sur le monde peuvent potentiellement développer la curiosité : les sorties, les spectacles, l'accès aux multimédias, la visite à la bibliothèque, l'écoute du conteur... sans oublier la parole des adultes évoquant les écrits qui les ont intéressés, amusés, touchés, émus ou indignés. L'éducateur est, qu'il le veuille ou non, parfois substitut des figures parentales dans l'espace qui est le sien : pourquoi se priverait-il de parler des lectures qu'il a aimé ?...

    3) Sur le plan cognitif : modifier leur posture et les aider à agir seuls
    Les élèves en difficulté ont tendance à être passifs, attendent plus la réponse qu'ils ne la cherchent eux-mêmes dans une relation de dépendance excessive à l'adulte « qui sait ». Peut-être sont-ils induits en erreur par respect excessif du conseil parental classique à l'aube de la grande école : « Sois sage, écoute bien le maître, il va t'apprendre à lire ». Toujours est-il qu'ils s'arrêtent dès qu'une difficulté surgit, à l'affût de la solution toute faite (qu'elle soit proposée par l'adulte ou soufflée par le voisin), ce qui n'est pas très opératoire pour progresser.
    Pour développer leur implication, mieux vaut donc éviter de donner la solution et inciter les élèves à chercher, à explorer seuls. Comme ils ont de surcroît tendance à imaginer que la réponse ne peut-être que juste ou fausse, il importe d'encourager les essais et les reprises : dédramatiser, valoriser, rassurer, relancer, stimuler, pousser à aller plus loin... autant d'autorisations à cheminer intellectuellement sans risque d'être stigmatisé.
    Quand l'impasse subsiste, le groupe de pairs peut être convoqué. Favoriser l'entraide et la coopération permet de croiser les diverses façons de faire, de mettre ainsi à jour des procédures plus efficaces ou plus économiques, donc de dévoiler peu à peu des stratégies de lecture plus fiables... tout en différant la validation par l'adulte. Outre le sentiment de sécurité que procure le groupe, chacun y est poussé à justifier ses propositions. Il s'agit de favoriser la réflexion individuelle et collective afin de développer leur autonomie intellectuelle.

    II/ Sur le plan de l'écrit et de la lecture

    Parallèlement aux orientations de travail précédentes, des activités spécifiques à l'univers écrit s'imposent pour favoriser les prises de conscience, lever les malentendus et éclaircir les moyens de progresser. Car le sentiment de mieux comprendre et finalement d'« y arriver » est un des plus puissants stimulants pour les apprentis découragés.
    Nous l'avons évoqué, outre les raisons de lire et d'apprendre, les difficultés proviennent souvent de la difficulté des élèves à saisir la logique de notre système écrit d'une part, à comprendre la nature de l'activité lecture d'autre part. Comment les aider ?

    1) Prendre conscience de la nature de l'écrit
    Les lectures reprises (que ce soit d'histoires, de comptines ou d'énoncés plus courts) permettent aux élèves d'appréhender la permanence de l'écrit, attachée justement à la nature de son organisation. Bien évidemment, il est indispensable de différencier ces moments d'autres apparemment proches, et de le signifier par des mots et des actes : lire n'est pas inventer, ni raconter ou réciter. Les confusions sont fréquentes sur ce point avec les enfants jeunes, pour des questions de développement déjà évoquées.

    Les jeux de langage, qu'ils portent sur les structures ou les sonorités, familiarisent avec la dimension ludique et créatrice de la langue tout en sensibilisant à sa dimension sonore « indépendamment » du contenu.
    La dictée à l'adulte, que ce soit pour légender des dessins individuels ou lors de productions collectives, fournit l'occasion de comprendre de façon plus soutenue les liens que l'écrit entretient avec l'oral : la nécessité de « faire une phrase » fait toucher du doigt la facture particulière de l'écrit ; la segmentation spécifique est mise en scène ; la reprise réitérée du début de l'énoncé, appuyée par la désignation des mots, renforce l'idée de permanence et sert les possibilités de repérage dans l'écrit, grâce à l'ordre immuable qui est la règle.
    De façon plus générale, toutes les activités de production écrite sont des occasions privilégiées de démontage du système écrit : comment formuler, qu'écrire d'abord, comment écrire tel mot ?... Autant d'opportunités pour renvoyer les questions aux élèves, afin qu'ils explorent seuls ou en collaboration les possibilités en s'appuyant sur leurs acquis et/ou sur les outils référents à leur disposition. De la comparaison de mots à l'analyse phonologique plus pointue et exigeante sans oublier l'interrogation sur les lettres muettes (affiliant à une famille de mots, faisant un clin d'œil à l'étymologie ou marquant le pluriel ou le temps, etc.) : chaque moment de production révèle les secrets de l'écrit et permet d'en comprendre la structure.
    Le souci d'explicitation maximale de ce qu'on fait et des « objets » manipulés est alors de mise, afin de les familiariser aux techniques et catégories linguistiques. Différencier ainsi lettre et chiffre, phrase et ligne ; désigner précisément mot, syllabe, majuscules, point, virgule, titre, paragraphe, etc. aide les élèves à sortir de l'opacité et de confusion. Ce souci de clarté cognitive soutient le repérage dans l'univers de l'écrit et contribue à en apprivoiser progressivement la complexité.

    2) Comprendre la nature de l'activité lecture.
    Certains pratiques à à l'école comme à la maison - peuvent insidieusement installer des malentendus. Ainsi, quand la lecture du soir n'est que reprise à haute voix de ce qu'on a déjà vu ou lorsque la découverte d'un nouveau texte invite les élèves à essentiellement recenser les mots connus, des élèves peuvent penser que lire, c'est essentiellement se rappeler. Or la question majeure devrait être : comment venir à bout de ce qu'on ne connaît pas ? Ce qui implique le dévoilement des moyens pour y parvenir.
    Ceux-ci peuvent être multiples dans la classe mais ne s'avèreront pas tous aussi fiables. Cela justifie néanmoins leur partage aux fins de vérifications croisées. Pour les élèves fragiles, que ce soit collectivement ou dans l'espace d'un petit groupe moins intimidant et plus sollicitant, l'incitation à la recherche et à la confrontation des avis dynamise les échanges, autorise les essais et leur reprise, permet le partage des savoir-faire balbutiants.

    Si lire n'est pas deviner, ce n'est pas non plus déchiffrer aveuglément. Pour les émanciper du décodage borné, l'appel à imaginer le mot inconnu caché avant son dévoilement partiel favorise l'inférence avant de la soumettre à vérification. L'exigence de lecture silencieuse de l'ensemble de la phrase avant la reprise à haute voix les habitue à différencier la phase de recherche de l'indispensable ressaisie compréhensive. Rappeler le déjà lu et anticiper la suite, mais aussi reformuler, récapituler et résumer sont autant d'opérations les incitant à s'émanciper des conduites improductives.
    Les modalités de contrôle habituelles devraient davantage servir la compréhension. Pour les élèves qui ne s'attachent qu'au littéral des textes, des questions exigeant des mises en relation, faisant appel à leur expérience ou sollicitant leur avis les aident à investir différemment la lecture, à se positionner comme sujets. Préalables à la lecture, les questions infléchissent l'exploration du texte, la transformant en jeu de piste à chemins multiples. Lorsqu'elles sont à inventer par les élèves eux-mêmes, elles demandent une scrutation approfondie pour celui qui veut mettre ses pairs au défi. Le texte à trous ou le texte puzzle sont autant d'occasions d'aiguiser leur vigilance, de revenir aux indices linguistiques précis justifiant l'interprétation. Là encore, le débat collectif permet d'affiner la compréhension, en lien avec une lecture plus exigeante quant à ses points d'appui.
    Loin de ne s'exercer que sur des textes littéraires, l'extension de cette pratique vis-à-vis des documentaires, des consignes et des énoncés de problèmes aide au transfert des habiletés, renforçant la maîtrise en lecture en même temps que la perception de son caractère indispensable dans tous les domaines, double facteur d'accélération des progrès.

    Conclusion

    Lisant avec moins de peine, automatisant progressivement certaines procédures, les élèves deviennent de plus en plus attentifs et sensibles au contenu. Les premiers succès, gratifiants, les incitent à multiplier les occasions de lire afin de tester ce nouveau pouvoir (ce dont témoignent fréquemment les parents, qui attestent de nouveaux comportements de leur enfant dans la rue et à la maison, sur tous supports).
    Le développement de cette activité conjointement à la diversification des écrits lus élargit les possibilités d'exploration personnelle jusqu'alors barrées, ouvrant à un autre rapport au monde parfois fort heureusement entretenu, dynamisé et renforcé par l'émerveillement des parents et des proches...

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