Regards croisés sur les pratiques en pédagogies actives, 21-23 mars, Bruxelles


La COCOF* a organisé un colloque international explorant cette thématique sur le Campus du CERIA à Bruxelles du 21 au 23 mars. Ce colloque où le GFEN était invité, s'adressait à l'ensemble des acteurs du monde de l'éducation et visait à croiser des pratiques favorisant la réussite scolaire et la réduction des inégalités sociales. L'enjeu est de taille puisqu'une nouvelle école doit s'ouvrir sur ce campus, axée sur ces pédagogies en 2020. Alternant conférences et ateliers, 700 participants ont suivi un parcours personnalisé pour découvrir de nouveaux outils, des pratiques, des résultats de recherche.

Dans la conférence d'introduction, André Tricot a tenté de répondre à la question : Sous quelles conditions les pédagogies actives permettent-elles de mieux apprendre ? Ce terme de "pédagogie active" fait référence aux situations où le professionnel tente de rendre les élèves actifs. Expression ambigüe qui nécessite de définir le terme "actif" : s'agit-il  d'une tâche physique, d'une tâche cognitive, d'une tâche sociale ou d'un mode d'engagement dans la tâche ? Et selon qu'on apprend un geste ou un concept, comment cette activité permet-elle d'améliorer ou empêcher les résultats attendus ? 
Ce psychologue cognitiviste, propose une approche en quatre niveaux pour aider les professionnels à concevoir des situations d'apprentissage : l'engagement, l'attention, la réalisation de la tâche, les apprentissages.  Il souligne que les deux derniers niveaux : la réalisation de la tâche et la réussite de l'apprentissage, peuvent être en concurrence. Si la tâche est trop exigeante, si la tâche est trop difficile, l'élève peut complètement s'engager dans la tâche mais cet engagement dans la tâche peut se faire au détriment de l'apprentissage. Ce qui semble essentiel pour apprendre, ce n'est pas l'analyse de la tâche seulement, c'est l'analyse de la tâche et le mode d'engagement dans la tâche.

Les ateliers proposés sur ces deux jours ont exploré des champs portant sur les inégalités scolaires, l'évaluation, l'inclusion ou les pratiques de classes. Des ateliers participatifs, conférences en duo ou collective, partages d'expériences, il y en a eu pour tous les goûts. Et les échanges se sont poursuivis de façon informelle lors des pauses café ou du lunch. Le GFEN y a proposé deux ateliers : le texte recréé et le vocabulaire. Jacques Bernardin est intervenu sur le thème : Pédagogies actives : l'activité en question (s) puis dans la conférence de synthèse pour relever les points de vigilance à avoir lorsqu'on s'inscrit dans une pédagogie dite "active".


Pédagogies actives : l'activité en question(s)


La question des pédagogies actives s'inscrit dans un contexte historique qui prend ses sources chez les penseurs du 19ème siècle et surtout après la première guerre mondiale lorsqu'intellectuels, médecins, psychologues, enseignants s'organisent pour faire entendre une autre voix que celle de la soumission au maître et des prédictions fatalistes liées à la théorie des dons. C'est un contexte propice au renouvellement de l'éducation. Visant une ambition internationale, ce courant de pensée critique la pédagogie traditionnelle et prône la participation active de l'apprenant dans une visée émancipatrice. Il s'agissait de concevoir une éducation globale, une école ouverte à tous dans un cursus unifié (Langevin, Wallon) et donnant une importance égale aux différents champs disciplinaires. On commençait à cette époque à avoir des connaissances scientifiques sur le développement de l'enfant.

Sur quels principes se basent les pédagogies actives ? Le principe d'éducabilité et le Tous capables ! (GFEN, 1982), la découverte de plusieurs milieux (Wallon), le rôle du milieu et de ses stimulations, l'importance de l'activité (Decroly, Piaget, Wallon), la pédagogie active (Dewey, Decroly, Freinet).

Mais quand peut-on dire que l'enfant est actif ? Ce n'est pas si simple car on ne peut pas réduire l'activité à ses manifestations extérieures. Apprendre se limite-il à la réalisation de la tâche demandée ? La médiation de l'activité mentale échappe souvent aux élèves les plus fragiles ce qui provoque chez eux un malentendu sur les visées de l'activité proposée. Apprendre est constitutif d'une trajectoire personnelle qui s'appuie sur des mobiles dont on ne discerne pas les contours.

Quels mobiles d'apprendre ? Quels moyens ? Les enquêtes montrent que seuls 28% des élèves ont une vision correcte de ce qu'est « apprendre ». La majorité  des élèves vivent les activités proposées sans réel intérêt, attendent tout de l'enseignant qui peine à les impliquer car trop souvent en relation d'évidence avec les savoirs dont il est expert. Pour sortir de cette pédagogie invisible, il est nécessaire d'identifier les enjeux, les expliciter, de faire du tissage entre les savoirs visés et leur utilité hors du milieu scolaire. 

Face à ces difficultés, on observe deux tendances chez les enseignants. La première qui consiste à surestimer les différences (Différenciation déficitaire) : adaptation en réduisant les sollicitations, segmentation de la tâche, aide complémentaire, motivation des élèves qui occulte les objets de savoir. La seconde qui néglige les différences en restant dans l'illusion de la transparence des contenus.

Apprendre, c'est s'inscrire dans une aventure humaine et faire prendre conscience à l'élève de cette évolution des savoirs au niveau de l'humanité peut devenir un mobile d'apprendre, construire l'envie d'en savoir plus. Cela donne un sens personnel à l'activité sans lequel aucun processus de construction de savoir n'est possible. lire le texte complet de l'intervention


Le jeudi soir un spectacle : Very Math Trip, des maths comme on ne les a jamais vues ni entendues et qui nous les ferait aimer ! Émotion, passion, aventure, culture, anecdotes, surprises, magie, intrigues sont les ingrédients de cet hommage aux mathématiques et à ceux qui en ont fait son histoire.

Conférence de clôture du colloque

Cette conférence animée et modérée par Aude Gallery et David Lallemand réunissait Patrick Beaudelot (directeur d'administration de l'Enseignement et de la formation professionnelle de la Cocof), Jacques Bernardin (GFEN), Séverine Acerbis (directrice de l'Asbl Badje), Jacques Cornet (CGé)


Il s'est agi de faire le lien entre les apports du colloque, les réalités des familles, les paroles et vécus des enfants. La conférence commence par l'écoute de paroles d'enfants fréquentant une école nouvelle qui disent leur ressenti d'élèves dans ce cadre : « le plaisir d'être libre, accepté ; la mixité, la participation, l'évaluation, l'égalité et l'autonomie, travailler ensemble » même si c'est tempéré par la crainte d'avancer plus lentement qu'ailleurs. Les professionnels qui les encadrent insistent sur le plaisir de partager les questions de métier, d'échanger sur les pratiques et la vie collective.

Mais pour qui ces écoles nouvelles sont-elles faites ? Quelles peuvent-être les dérives ? Faut-il oser innover et changer ses pratiques?

Patrick Beaudelot souligne l'importance de l'ouverture d'une école s'appuyant sur les pédagogies actives.  Au-delà des programmes et de l'institution, ce qui compte c'est le regard porté sur l'enfant qui apprend : éducabilité mais également exigence. Il faut un projet affirmé avec une appropriation des différents partenaires du projet ainsi qu'une une formation adaptée pour les enseignants. Ce projet porte tout à la fois sur la pédagogie, l'aménagement des espaces et la gestion du bien-être des différents acteurs.    

Séverine Acerbis, directrice de l'Asbl Badje : Bruxelles Accueil et Développement pour la Jeunesse et l'Enfance, une fédération pluraliste bruxelloise active dans le secteur de l'accueil des enfants et des jeunes, prône la cohérence et la continuité pédagogique dans les différents milieux que l'enfant fréquente.

Jacques Cornet affirme que les pédagogies actives ont deux caractéristiques : méthodologique et sociopolitique. Sur un plan méthodologique, le but de l'activité est différent de l'objectif d'apprentissage. L'activité permet d'enrôler l'élève mais comment modifier le rapport au savoir à partir des productions de savoir ? La pédagogie active vise à lutter contre les dominations sociales mais les instruments dont elle se dote peuvent être détournés par ceux qui les utilisent  dans un rapport hiérarchique. On distingue deux courants en pédagogie active. Certains sont centrés sur les situations-problèmes dans une articulation entre but, objectifs, ressources et contraintes. D'autres comme la pédagogie Freinet s'appuient sur des "méthodes naturelles". Le risque majeur actuel est la prolétarisation des métiers qu'on ne peut pas délocaliser (dont les enseignants). On a pourtant besoin de travailleurs impliqués et pensant ensemble.

Jacques Bernardin note que les exemples donnés dans les deux temps de vidéos montrent des enfants passant des moments agréables. Mais au-delà se pose la question des apprentissages : qu'est-ce qu'on apprend ? Quand apprend-on ? L'école est le lieu du passage d'un patrimoine culturel, d'une communauté d'appartenance. Le développement de l'enfant passe par son désenclavement ; c'est en proposant des choses qu'il n'a jamais connues et qu'il peut ne pas aimer dans un premier temps. En proposant des espaces de confrontations de points de vue, l'école donne des outils à penser et de pensée. Il faudrait reprendre la distinction entre information, connaissance et savoir. La zone de tension pour les pédagogies actives est la place de l'activité si des moments réflexifs ne viennent pas assoir les objectifs d'acquisition de savoirs.

Après un débat avec la salle portant sur la parité, la posture d'accueil pour lutter contre les discriminations sociales, l'accompagnement des jeunes enseignants entrant dans une pédagogie active, l'accueil des enfants en situation de grande pauvreté, Laurence Vieille, poétesse nationale conclut à sa manière ce colloque en déclamant un texte « à fleur de », création faite des mots dits ou entendus durant ces trois jours.  


*COCOF : Commission communautaire française

Jacqueline Bonnard


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