Analyses
Yann Gibert | le 01/01/1970 00:00
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février 2012
« Dans une société sans projet, on demande à chacun de construire le sien » écrivait JP BOUTINET dans son ouvrage « L'anthropologie du projet »[1]. Il constatait que nous passions ainsi d'une culture activo-passive à une culture pronominale caractérisant la culture « à projet » ; ainsi dans la sphère scolaire on ne dit plus « l'élève a échoué » mais « il s'est planté » ou encore qu'on oriente les élèves mais qu'ils s'orientent. Ce déplacement du collectif à l'individuel pose un problème d'éthique car il renvoie à l'individu lui-même la responsabilité de sa réussite ou le plus souvent de ses difficultés et échecs. On peut en effet s'interroger sur un projet d'école pour la réussite de chacun au détriment d'une école de la réussite pour tous. Même s'il est légitime de considérer que chaque individu est unique, on ne peut ignorer que les différences « d'aptitudes » à l'entrée de la scolarité sont fortement dépendantes des conditions sociologiques dans lesquelles l'enfant évolue. Dans ces conditions, individualiser les parcours risque de créer une discrimination qui ne veut pas dire son nom : aux manuels (ou non conceptuels, vocabulaire qui revient en force) l'obligation de s'orienter de façon précoce vers un métier au risque de ne pas se construire les outils intellectuels qui leur permettraient de rebondir en cas de difficultés, aux plus doués la possibilité d'apprendre et de se cultiver pour mieux choisir une orientation ultérieure.
En collège, on voit apparaître ici et là, des établissements qui instituent des classes à projet spécifique s'appuyant sur des programmes « allégés » dont un des objectifs est de « réconcilier les élèves en difficulté avec le système scolaire » sans que soient remises en cause les pratiques pédagogiques qui ont induit les résultats observés. Le bénéfice escompté (mais inavoué) de ces projets est de permettre aux « bons élèves de pouvoir apprendre et progresser plus rapidement ». On voit bien ici la logique sous-jacente, une adaptation pour se mettre au niveau présupposé des élèves et réduire les exigences relatives aux savoirs à enseigner. Que dire également de l'aide individualisée qui isole l'élève et sa famille avec un sentiment de culpabilité injustifié ? Car si l'école ne parvient pas à atteindre les objectifs visés, faut-il en rendre coupables les usagers ou s'interroger sur les moyens mis en œuvre pour atteindre ces objectifs ?
Et si l'on commençait par considérer l'élève comme une personne et non un individu : une personne qui s'inscrit dans une histoire familiale, évolue dans un cadre social. Plutôt que d'isoler l'individu dans une problématique de manque, il serait plus pertinent d'analyser collectivement les difficultés récurrentes chez les élèves et de construire des réponses pédagogiques adaptées en considérant l'élève et sa famille comme des partenaires à part entière. Le dispositif pédagogique[2] majoritaire pour mener une séance de cours ou de formation répond à la logique de « l'indifférence à la différence »[3], c'est-à-dire qu'elle s'appuie sur un modèle implicite de « l'élève normal » qui adopterait spontanément les postures adaptées, apprendrait de façon fluide en répondant aux sollicitations de l'enseignant. De ce fait, les élèves les plus éloignés des évidences scolaires ne construisent pas de savoirs même s'ils participent aux activités proposées, de plus ils se trompent d'objet de travail puisque pour eux « l'important est de participer » en faisant plaisir à l'enseignant.
Il s'agit donc moins d'individualiser la pédagogie selon les difficultés de l'un ou de l'autre que de proposer des situations d'apprentissage qui permettent à chacun de développer ses capacités et s'inscrire dans des réussites valorisées car reconnues par le groupe social. Ce qui importe c'est de mettre en œuvre les conditions d'une appropriation individuelle de savoirs communs dans une démarche collective. Cette approche nécessite d'inscrire le métier d'enseignant dans un collectif de travail et de réflexion qui interroge les savoirs, les pratiques pédagogiques, les supports utilisés.
[2] Au sens que donne Stéphane
BONNERY (2007) : des dispositifs récurrents, de classe en classe,
abstraction faite de la façon d'enseigner propre à chaque professeur.
[3] BOURDIEU et PASSERON
(1964)