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    École en mutation

    L'École en mutation : quels enjeux actuels ?*

    Jacques Bernardin / 14 novembre 2007

    I/ NOTRE PERCEPTION DE LA SITUATION :

    Aujourd'hui, l'école est un bastion symbolique soumis à une intense lutte idéologique. Ce n'est pas un hasard. Outre le fait qu'elle prépare à des qualifications permettant l'accès futur à l'emploi (et ce faisant, accrédite la distribution différentielle des places), c'est à travers elle que se transmettent les valeurs et les règles du jeu social : processus de formation d'un habitus social, autrement dit de ces dispositions incorporées au fil du long processus éducatif qui, à terme, agissent à notre insu dans nos façons d'être, de penser et d'agir au quotidien... Quelle est la teneur des transformations actuelles ?
    Derrière le rideau de fumée des annonces médiatiques (poids du cartable, suppression de l'école le samedi) et au-delà de la question des moyens, on assiste à une formidable poussée libérale sur l'école (1) . Quels sont ces choix politiques ? Quelles en sont les traductions structurelles et programmatiques ? Comment l'ensemble arrive-t-il à être justifié auprès de l'opinion publique, voire à être plébiscité par ceux qui en seront les premières victimes ?

     

    1) Des choix politiques

    La Loi d'orientation Fillon de 2005 a été préparée et justifiée par le débat en amont du rapport Thélot, avec un double argumentaire : d'une part, l'état de l'Ecole est catastrophique (la progression des résultats stagne, le taux de jeunes sans qualifications est trop levé, etc.) ; d'autre part, avec ce chômage, il faut arrêter de rêver et mieux adapter la formation à l'emploi. Sous couvert de garantie éducative qualifiante à chacun, cette loi consacre le retour de l'Ecole à deux vitesses (tout en écrémant les transfuges les plus « méritants »). C'est la remise en cause du consensus républicain qui a prévalu depuis l'après-guerre, autour de l'ouverture du secondaire et de la démocratisation de la culture.

    Cette loi est en cohérence avec la nouvelle donne européenne, définie lors du Conseil de Lisbonne en 2000 : il faut harmoniser les systèmes éducatifs « pour que les citoyens puissent passer de l'un à l'autre et profiter de leur diversité », afin de « devenir l'économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde, capable d'une croissance économique durable »(2) . Les systèmes éducatifs ont un rôle central et doivent, entre autres objectifs, développer l'accès aux technologies de l'information et de la communication ; renforcer les liens avec le monde du travail, la recherche et la société ; développer l'esprit d'entreprise...Ainsi que le remarquait l'ERT (European Round Table, réunissant les grands industriels d'Europe), le secteur de l'éducation constitue en effet un énorme marché potentiel à deux titres : d'une part, parce que les entreprises ont besoin de travailleurs formés de manière à répondre à leurs exigences ; d'autre part, parce qu'en lui-même, il offre des possibilités de profit inespérées en tant que secteur économique(3) .
    Développer la connaissance, certes, mais pas de la même façon qu'auparavant ! Elle doit désormais être en phase avec les besoins économiques. Sur le plan qualitatif, la formation ne visant plus l'emploi mais l' « employabilité » s'organise autour de plusieurs principes :
    - mobilité : « Dans un contexte de mobilité professionnelle de plus en plus généralisée, l'Ecole doit se concevoir comme une première étape, essentielle, dans le processus de formation tout au long de la vie »(4) , car il faut désormais être capable de s'adapter en permanence, au niveau des organisations comme des employés(5).
    - logique de compétences. Face à l'évolution des savoirs et des technologies, mais aussi des formes de travail, l'Ecole ne doit plus seulement « dispenser des connaissances », mais surtout « mettre l'accent sur les savoir-faire et les savoir être qui donnent à chacun la capacité à faire face aux situations nouvelles », adaptés aux besoins de l'entreprise moderne.
    - intégration des normes comportementales. Dans le contexte explosif de 2005, les préconisations du rapport Thélot prennent un relief particulier : « garantit l'ordre, restaurer la confiance, le respect » ; « amener chacun à se maîtriser, à se conformer aux règles communes », notant que « le monde de l'entreprise àà travers son insistance sur les règles de socialisation dans le processus de formation d'actifs qualifiés- paraît plus demandeur en « éducation » que d'autres acteurs ou partenaires de l'Ecole » (p.35).

    Sur le plan quantitatif, quelles sont les projections ? Le Bureau d'information et de prévisions économiques (BIPE) a réalisé une étude sur la prospective emploi-formation horizon 2015 : entre 70 % et 80 % des besoins en recrutement devraient s'adresser à des jeunes d'un niveau égal ou supérieur au bac : 30 % à des jeunes de niveau IV (bac ou équivalent) et de 40 % à 50 % à des diplômés de l'enseignement supérieur (bac + 2 et plus). La part des recrutements du niveau CAP-BEP ne serait que de 13 % et celle proposée à des non diplômés de 11 %. Pourquoi s'encombrer de formations lourdes pour ceux qu'on destine à « compenser les départs massifs à la retraite des personnes qui occupent des emplois unicode2utf8(0x2018) peu qualifié' », surtout quand les emplois émergeants sont des emplois de service « requérant des qualifications fondées sur le savoir-être et la relation à autrui » (p.23) ?
    Réduire l'Ecole à sa fonction professionnalisante, c'est une conception étroitement utilitariste en rupture avec ce qui la fonde depuis Condorcet, « oubliant » ses fonctions anthropologique (former l'homme) et socio-politique (former le citoyen). C'est en outre un piège redoutable pour les milieux populaires... qui plébiscitent cette orientation.

     

    2) Traductions structurelles et programmatiques

    Au niveau structurel, c'est la fin du collège unique (X. Darcos : « le collège unique n'est plus adapté aux difficultés que l'école rencontre aujourd'hui »). Vous voyez bien qu'ils n'y arrivent pas, dit-on ici ; trop de diplômes tuent les diplômes avance-t-on là. La solution ? La « découverte professionnelle » plus tôt pour les uns, l'approfondissement pour les autres.
    Il s'agit par ailleurs d'imposer au public les règles de l'enseignement privé : faire sauter la carte scolaire ; développer l'autonomie des établissements pour « libérer les initiatives », mais avec contrôle évaluatif à la clé (projet d'EPLE dans l'élémentaire) ; participation accrue des acteurs économiques, des élus locaux ; distribution sélective des crédits (selon les projets et les résultats). Logique de concurrence, culture du résultat, de l'efficacité et de la performance : c'est l'irruption des règles et de l'esprit de l'entreprise... et la fin de l'égalité d'offre d'éducation ?
    Simultanément, on constate la dégradation de l'Ecole publique : diminution de postes (11.200 en 2008) ; chute de la scolarisation des 2 ans (35,5 % de 1990 à 2000 ; 23 % actuellement... et totalement abandonnée en Seine-St-Denis !) ; forte baisse de la formation continue ; manque de RASED, de médecine scolaire ; silence sur les ZEP... Parallèlement, on soutient l'école privée au nom d'une « complémentarité indispensable » et d'une juste concurrence. Serait-ce la fin du consensus autour de « l'Ecole à la française », du soutien et de la promotion du service public d'éducation ?

    Au niveau du programme. Du CP à la 3ème, le socle commun fixe l'horizon des ambitions pour la majorité des enfants de familles modestes, dans une logique de compétences. La réécriture des programmes de 2002 a suivi(6) et va se poursuivre dans le sens d'une simplification pour « donner à l'école des programmes et des horaires recentrés sur des objectifs clarifiés »(7) . En toute logique, a suivi une refonte du cahier des charges de la formation des maîtres en IUFM, recentrée autour du socle commun et alignant la formation des maîtres sur la même logique de compétences(8) . L'évaluation est prévue à tous les étages, le livret de positionnement puis le livret individuel de compétences du professeur des écoles stagiaires étant le pendant du livret personnel de compétences de chacun des élèves dont ils auront la charge, avec des points réguliers sur les connaissances, capacités et attitudes (base sur laquelle se décidera l'éventuelle mise en place d'un PPRE, Programme personnalisé de réussite éducative, en cas de difficultés).
    Individualisation des parcours, des aides... et des destinées, dans le cadre d'une « Ecole plus juste » définie de manière originale, puisque cela ne consiste pas à combattre les inégalités et à viser la promotion collective, mais à « assumer sereinement la différenciation scolaire », sans désespérer les plus démunis (« l'école doit soutenir les plus faibles, tout en encourageant les meilleurs à se dépasser. Elle contribue à la fois à l'élévation du niveau général de la population et au recrutement social élargi des élites »)(9) . Comme l'explique la loi Fillon, il s'agit d'une « nouvelle alliance entre l'égalité et la diversité », d'une « nouvelle alliance entre la culture et l'emploi ».
    Pour amener l'opinion publique à accepter ces choix et mieux, pour faire en sorte que les victimes soient consentantes, il faut le justifier, rendre ces transformations indispensables : c'est le rôle de la conquête idéologique.


    3) Les assises idéologiques : ... pour organiser et faire accepter la sélection.

    Le discours dramatisé sur l'Etat de l'école a pour objet de déstabiliser le rapport de confiance des Français à l'égard de leur Ecole. Rappelons-nous ces propos de Renaud Dutreil en octobre 2004, alors qu'il était ministre de la Fonction publique et de la Réforme de l'Etat : « Il faut débloquer tous ces verrous psychologiques (...) Le problème que nous avons en France, c'est que les gens sont contents des services publics. L'hôpital fonctionne bien, l'école fonctionne bien, la police fonctionne bien. Alors il faut tenir un discours, expliquer que nous sommes à deux doigts d'une crise majeure (...) »(10) .
    Que n'a-t-on pas entendu : le niveau baisse, ils ne savent plus rien, trop de jeunes sortent sans diplômes, l'illettrisme fait des ravages... Qu'en est-il exactement ? Tous les indicateurs officiels disent le contraire ! Solliciter sur cette base l'avis de l'opinion publique dans une période de chômage persistant, c'est faire avaliser à coup sûr l'instrumentalisation de l'École pour l'emploi.
    Comment justifier l'inégalité ? Par l'idée d'égalité des chances. Originellement, c'est une invention républicaine qui substituait le mérite aux privilèges de la naissance de l'Ancien Régime. Depuis lors, pour reprendre la formule d'un sociologue, c'est une « promesse non tenue ». La notion est pernicieuse : elle présuppose l'égalité virtuelle au départ de la course tout en préparant à une inéluctable inégalité d'arrivée. Cela d'une part légitime la distribution sociale hiérarchisée, d'autre part renvoie au mérite individuel en masquant ses déterminations sociales (contexte familial et position sociale qui pèsent sur le rapport au monde, à l'avenir, au langage et à la culture). Ce qui n'est pas sans effet sur chacun des individus : celui qui réussit ne pense le devoir qu'à lui-même et, quand il est issu de milieu populaire, prend souvent distance voire se désolidarise de ses origines (« les autres n'ont que ce qu'ils méritent »...) ; celui qui échoue intériorise son échec de façon culpabilisée (« c'est de ma faute, je suis nul ! ») et par là, le « sens de sa place » dans la société, retournant ainsi l'injustice contre lui-même. L'égalité des chances, c'est une sorte de loto social : une illusion collective servant d'écran à une lecture rationnelle de la réalité, où l'espoir potentiel de s'en sortir permet de tenir malgré l'inacceptable.

    L'individualisation, comme mode d'appréhension des problèmes... et des solutions est un autre point fort. Des enfants aux « formes d'intelligences » différentes, voilà qui justifie des parcours différents. Le thème est récurrent dans les textes et les discours : comme « les enfants sont différents dans leurs talents, leurs capacités, le rythme de leur progression, les ressorts de leur motivation, leur maturité », il faut « personnaliser les apprentissages » (rapport Thélot, p.56-57) ; « Compte tenu de la diversité des élèves, l'école doit reconnaître et promouvoir toutes les formes d'intelligence pour leur permettre de valoriser leurs talents » (Loi d'orientation, art. L122-1) ; « si je souhaite réformer le collège unique, c'est (...) pour que les différences de rythme, de sensibilités, de caractères, de forme d'intelligence soient mieux prises en compte (...). » (N. Sarkozy, Lettre aux éducateurs, p.12). Tout cela justifie une « diversité des voies de réussite » : « donner à chacun la chance d'atteindre l'excellence dans la voie qu'il s'est choisie » (rapport Thélot, p. 24), et faire en sorte que « les filières professionnelles soient reconnues comme des filières d'excellence » (N. Sarkozy, lettre aux éducateurs, p. 23). Différences des « talents », des « aptitudes », des « capacités »... Derrière cette façon de référer à ce qui serait déjà-là et propre à chacun dès sa naissance, on assiste à un retour insidieux de l'idéologie des dons. Cela revient à naturaliser les différences, à renvoyer au substrat biologique alors qu'en matière d'apprentissage, on sait que les ressorts de la motivation, les façons d'être et de faire sont redevables aux effets de la socialisation familiale, qu'ils relèvent de l'expérience passée... mais aussi à venir.
    Dans la même logique, on prône un traitement « personnalisé » des difficultés scolaires (PPRE, refus de penser la politique des ZEP en terme de territoire, préférant le cas par cas). C'est une occultation récurrente de la question sociale, un masquage des effets des politiques inégalitaires et discriminatoires sur le mode de vie des familles.

    Autre pièce maîtresse de cette politique : l'assistance, qui permet de parer aux frustrations. En effet, accentuer les inégalités, c'est risquer d'alimenter la fronde. Comment faire pour ne pas désespérer les désespérés ? Cela exige de l'intelligence politique : « L'intelligence est la vertu principale du chef, du guide moderne (...). L'intelligence permet de prévoir et de prévenir la révolte (...) Elle impose une politique d'assistance et de rééducation, qui seule peut arracher les exclus à l'angoisse ou à la révolte, en leur faisant trouver le bonheur dans l'acceptation de l'inéluctable... » (V. Giscard d'Estaing, 1972). Programme personnalisé de réussite éducative, inflation croissante des dispositifs d'aide, de soutien, d'accompagnement dans comme hors l'école : quel sens quand parallèlement on dégrade l'École en amont ? Ne serait-ce pas une forme de contrôle social (à visée prétendument « réparatrice ») pour maintenir les injustices, ne rien changer à l'ordre existant ?

    II/ QUELLES PERSPECTIVES DANS CE CONTEXTE ?

    On pourrait ressentir un effet d'écrasement d'une lecture critique trop univoque de la situation. Or, plusieurs éléments nous invitent à complexifier cette lecture :
    - d'une part, ce projet n'est pas sans contradictions ni paradoxes ;
    - d'autre part, sa mise en œuvre passe par des acteurs : les enseignants. Or, la sociologie des organisations nous apprend que le système ne fonctionne pas tant par les injonctions bureaucratiques que par la capacité des acteurs à interpréter, à transformer, à adapter, bref à faire vivre ces prescriptions...
    - enfin, d'autres acteurs comptent : les syndicats enseignants, les partis politiques, les collectivités locales, qui peuvent influer sur l'opinion publique
    Parmi les contradictions et paradoxes :
    - l'opinion est toujours attachée au modèle de l'École « à la française »(11) ;
    - la « réussite de tous » reste au programme(12) (même si la conception de la réussite des uns n'est pas celle des autres...) ;
    - y compris si on la retient comme critère, l'« efficacité » ne plaide pas pour les solutions retenues, au vu des comparaisons internationales(13) . Les pays qui ont les meilleurs résultats sont ceux qui conjuguent : système unifié (une Ecole publique forte) ; filiarisation différée (cursus commun jusqu'au terme du premier cycle du secondaire) ; absence de redoublement ; pédagogie « ouverte » (choix du socio-constructivisme) avec, pour éviter le décrochage, un réel suivi des équipes d'école, qui disposent de moyens (personnel supplémentaire, spécialisé). Les recherches montrent que dans ces pays, équité rime avec efficacité : la moindre dispersion des résultats qu'ailleurs entre les plus faibles et les plus performants va de pair avec un très bon niveau de ces derniers.

    Pour préparer à une société de plus en plus complexe, à un avenir de plus en plus imprévisible, la solution la plus raisonnable est de poursuivre la démocratisation et ce, quel que soit l'emploi auquel on se destine(14) . C'était le choix fait à la sortie de la guerre par le Plan Langevin-Wallon, dont l'esprit pourrait continuer d'inspirer les choix actuels. Ce qui ne peut tenir que si on est sur la ligne : Défendre ET transformer l'École !

    III/ DÉFENDRE ET TRANSFORMER L'ÉCOLE

    A/ Sur le volet « Défendre l'école » :
    Si l'on récapitule rapidement les points qui nécessitent la plus grande vigilance :
    - Derrière Loi Fillon, c'est la remise en cause de l'ambition démocratique du collège unique : faut-il accréditer la logique de l'égalité des chances et du mérite individuel ou viser l'élévation continue du niveau de formation de l'ensemble de la population ?
    - Instrumentalisation de l'école dans la seule visée professionnalisante : va-t-on dans le sens d'une école « efficace » et « utile » (idée rappelons-le séduisante pour les familles populaires mais redoutable pour leurs enfants) ou faut-il réaffirmer ses fonctions anthropologique et socio-politique ? On entrevoit la difficulté de convaincre les intéressés...
    - La délégation croissante aux collectivités locales est-elle source d'égalité d'offre d'éducation ? On peut nourrir quelques inquiétudes, avec le projet d'EPLE attribuant des voix prépondérantes aux acteurs locaux, dessaisissant l'éducation nationale de ses prérogatives ; sur la question des crédits scolaires ou à propos de la scolarisation des 2 ans.

     

    B/ Sur le versant « Transformer l'école » :

    1) Mener une réflexion sur l'aide.
    Qu'elle se décline en termes de soutien scolaire, d'accompagnement éducatif, de dispositif d'aide ou d'accompagnement à la scolarité, on peut légitimement s'interroger : quel sens a l'inflation de ces dispositifs ? Va-t-on vers une « re-scolarisation » totale ? Jusqu'où et jusqu'à quand faudra-t-il rattraper, compléter ou suppléer à ce qui n'a pas fonctionné ou insuffisamment en amont ? Les recherches constatent que l'accompagnement à la scolarité est plus difficile à mettre en œuvre dans les écoles et dans les zones les plus défavorisées, que les élèves les plus en difficulté y échappent quand les actions sont basées sur le volontariat, mais aussi que ces actions ont des effets limités sur les performances scolaires(15) .
    Quelle fonction et quel sens ont les devoirs ? Qu'attend-on des élèves ? S'agit-il de rendre ainsi compte aux parents de ce qui se fait à l'école ? De répondre à leur demande ? D'aider les élèves à mémoriser et à asseoir les notions ? D'acquérir des techniques de travail intellectuel ? De les rendre autonomes ? La part d'implicite y est encore bien trop importante, et on constate que cet « après la classe » n'aide pas ceux qu'il était censé prioritairement aider. Faire ses devoirs n'a que des incidences faibles sur les résultats scolaires et l'envie d'apprendre (voire peut contribuer à démobiliser les élèves), ne dit rien sur la façon dont ils ont été faits (certains « liquident » leurs devoirs ou instrumentalisent les adultes pour qu'ils les fassent à leur place), et peut donc entretenir un leurre tant pour l'enseignant (sur la part qu'y a pris l'élève) que pour l'élève (quant à la nature des attendus en matière de travail intellectuel). Enfin, on constate que l'aide a fréquemment un effet paradoxal : elle accroît la dépendance des élèves fragiles, alors même qu'elle prétend les en émanciper !
    Ce qui se passe dans les dispositifs d'aide est un « analyseur » qui devrait interroger en retour le quotidien scolaire. S'agit-il d'aider toujours plus... pour mieux maintenir le système en l'état ?

     

    2) Relancer le processus de démocratisation.

    De l'avis même d'Inspecteurs Généraux de l'Education Nationale, sans doute est-on arrivé au bout du possible... lié aux réformes structurelles : « A partir du moment où, volontairement ou non, on a laissé de côté pendant si longtemps les questions fondamentales des contenus et des méthodes d'enseignement du collège, de la formation des enseignants qui y travaillent, (...) les politiques ministérielles sont probablement allées au bout des résultats qu'il était possible d'attendre de réformes de structures »(16) . Autrement dit, relancer le processus de démocratisation de l'accès au savoir nécessite de s'attaquer au noyau dur sur lequel jusqu'ici on a fait l'impasse : les pratiques pédagogiques. En quoi contribuent-elles à perpétuer, enkyster les difficultés ou au contraire à enrayer les logiques ségrégatives ?
    On ne part pas de rien. Depuis les années 1990, des travaux ont porté sur les caractéristiques de lieux qui avaient des résultats atypiques, repérant des constantes produisant des effets positifs (ce qu'on a appelé l'effet-zone, l'effet-établissement, l'effet-maître)(17) : taille raisonnable et pilotage effectif pour les zones ; stabilité des équipes, direction démocratique, travail d'équipe au fonctionnement solidaire, centration sur les apprentissages scolaires, regard positif sur les élèves et respectueux des familles pour les établissements ; éthique semblable, mise en activité optimale des élèves, pédagogie « ouverte » et méthodes de travail structurées pour les maîtres. Les travaux de l'équipe ESCOL (Paris 8) précisent et spécifient ce qui « fait la différence » au niveau des élèves : leur rapport à l'École, au savoir et à l'apprendre, qui transcende leur origine sociale sans la dissoudre et ouvre des pistes fructueuse pour l'activité enseignante. Interroger plus finement les modalités d'apprentissage, mais aussi et d'abord le contenu même qui en est le support et l'enjeu pour restituer la chair, le sens et la valeur émancipatrice des savoirs : c'est ce qui est au cœur des recherche du GFEN depuis plus de 30 ans, dans l'ensemble des champs disciplinaires, en phase avec d'autres recherches en didactique(18) .
    Comment faire connaître plus largement ces recherches, ces problématiques et ces outils ? L'information, les banques d'outils sont sans doute nécessaires mais, outre le fait qu'elles exigent de chacun un effort de recherche personnelle et une transposition solitaire aléatoire, elles ne suffisent pas pour déplacer de façon significative les conceptions, postures et pratiques professionnelles lentement sédimentées. C'est tout le problème de la formation...

     

    3) L'exigence de formation

    Aujourd'hui, pas un métier n'échappe à la nécessité d'actualiser ses ressources ou ses procédés de travail, au gré de l'avancée des recherches. Le métier d'enseignant serait-il le seul à y échapper, alors même qu'il est au cœur de la production et de la diffusion des savoirs ? Etrange paradoxe. Si la revendication d'un volume de formation plus conséquent est légitime, c'est tout autant l'attente d'une autre formation qui émerge dans la profession. Pour être opératoire, celle-ci devrait être moins conçue comme somme d'informations que comme dynamique de transformation à la fois :
    - du regard porté sur les élèves et leurs parents (dimensions sociale et éthique) ;
    - des conceptions du savoir, de l'apprentissage (dimensions didactique et pédagogique) ;
    - du rapport au métier et à son exercice (conjuguant implication et distance réflexive).
    Formation qui favoriserait le travail commun, l'engagement solidaire (grâce à des candidatures groupées par équipes de cycle, d'école ou d'établissement) et s'inscrirait dans la durée (avec des formules « filées » alternant regroupements courts et retours sur le terrain), qui ne ferait pas l'impasse sur la réalité du métier et aurait le souci àautant qu'il est possible- d'une certaine homologie entre pratiques de formation et travail requis auprès des élèves.

    Loin d'être utopiques, de telles formations existent déjà, à l'initiative du GFEN et en partenariat avec l'Education nationale, notamment en ZEP, tant au niveau primaire (dans l'Yonne par exemple) que secondaire (sur Lyon, l'Ile-de-France : stages d'aide négociée, avec mise en réseaux d'établissements) ou encore avec des équipes de dispositifs relais (à Dreux, sur l'académie d'Orléans-Tours).
    Les effets produits, tant au niveau des dynamiques enclenchées dans les classes (et des premiers résultats aux évaluations nationales) qu'au niveau des équipes enseignantes sont autant de témoignages que c'est possible, ici et maintenant, contre toute fatalité. S'il en fallait des preuves...

     

    Notes

    * Intervention faite par Jacques Bernardin, président du GFEN, à la demande d'élus communistes et républicains du 93, responsables de politiques et services éducatifs à Mercredi 14 novembre 2007 - Bourse du Travail - La Courneuve. retour au texte
    1- « Le temps de la refondation est venu » (N. Sarkozy, Lettre aux éducateurs. Sept. 2007, p. 31). retour au texte
    2- Commission Européenne, Les objectifs concrets futurs des systèmes d'éducation, 31/01/2001, p. 24. retour au texte
    3- « La population européenne doit s'engager dans un processus d'apprentissage tout au long de la vie (...). L'usage approprié des TIC dans le processus éducatif va imposer d'importants investissements en termes financiers et humains. Ils généreront des bénéfices à la mesure des enjeux (...). Il faut que tous les individus qui apprennent s'équipent d'outils pédagogiques de base, tout comme ils ont acquis une télévision. » (ERT, Investir dans la connaissance. L'intégration de la technologie dans l'éduc. Europ., 1997). La marchandisation des services (matériel scolaire, officines de soutien) : un marché estimé à 2 ou 3 milliards d'euros en Europe. retour au texte
    4- Rapport Thélot, p. 23. Les citations suivantes sont extraites du même rapport (p. 23 à 37). retour au texte
    5- « Dans des organisations fluides, flexibles, centrées sur le client et en interaction directe avec le marché, soumises à une concurrence de plus en plus intense et vouées à être toujours plus compétitives, réactives et dynamiques, les compétences requises des salariés ne sont plus les mêmes qu'auparavant. (...) les nouvelles organisations productives doivent promouvoir la coopération des services, des équipes et des individus et être capables de s'adapter en permanence ». (Xavier Darcos, devant la Chambre de Commerce et d'Industrie de Paris, le 5 mars 2003). retour au texte
    6- B.O.E.N. n° 5 à 12 avril 2007. retour au texte
    7- Document d'orientation. Propositions du Ministre de l'éducation nationale pour définir un nouvel horizon pour l'école primaire. Novembre 2007. retour au texte
    8- B.O.E.N. n° 1 à 4 janvier 2007. retour au texte
    9- Rapport Thélot, p. 27. retour au texte
    10- Intervention faite devant les membres de la Fondation Concorde. Charlie-Hebdo N°645, 27 octobre 2004. retour au texte
    11- Une enquête récente menée à la rentrée par les syndicats enseignants le confirme. retour au texte
    12- B.O.E.N. n°5, Volume 1-a, 12 avril 2007 (Préambule, p. 13). retour au texte
    13- Marcel Crahay et Arlette Delhaxhe, « L'école obligatoire en Europe, des conceptions divergentes », Revue Sciences Humaines n°142, octobre 2003. Cf. également Bruno Suchaut, « La sélection et la différenciation ne mènent pas à la réussite scolaire », Fenêtres sur Cours n° 268, 7 mars 2005, p. 30. retour au texte
    14- Cf. Eric Maurin, la Nouvelle Question scolaire. Les bénéfices de la démocratisation. La République des Idées/ Seuil, sept. 2007. retour au texte
    15- Dominique Glasman, « Le travail des élèves pour l'école en dehors de l'école ». Rapport pour le Haut Conseil à l'Evaluation de l'École. Décembre 2004. retour au texte
    16- Jean-Paul Delahaye, Inspecteur général de l'éducation nationale, professeur associé à l'Université paris V, dans « Le collège : une construction inachevée », in Bernard Toulemonde (dir.), Le système éducatif en France, les notices de la Documentation Française / CNED, 2006. retour au texte
    17- Catherine Moisan et Jacky Simon, Les déterminants de la réussite scolaire en zone d'éducation prioritaire, Centre national de ressources sur les ZEP, INRP, 1997. retour au texte
    18- Pour la liste des ouvrages parus, voir la rubrique publications. retour au texte


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