De l'ambition pour l'école
Yann Gibert | le 01/01/1970 00:00
L'école forme, certes... mais à quoi ? Quand l'individualisation sert l'exclusion. Retrouver la saveur des savoirs pour redonner sens...En savoir plus
Mouvement de recherche et de formation en éducation
Tous capables ! Tous chercheurs ! Tous créateurs !
Le débat s'amorce sur une
critique de l'Ecole, qui ne serait pas à la hauteur des ambitions
de la loi d'orientation de 1989 (10 à 15% de faibles lecteurs aux
évaluations nationales, 7 à 8% de jeunes sortant sans qualification)
et qui serait responsable des difficultés d'une partie des jeunes
face à l'insertion professionnelle. La critique est juste...
mais tronquée :
- quand on retourne insidieusement les responsabilités, car la société est moins malade de son Ecole que celle-ci n'est malade de la société. L'Ecole n'est pas isolée du tissu social : en accueillant les élèves, elle enregistre les dégâts humains du chômage, de la précarité, et les dégâts psychiques d'une fragilité croissante face à l'avenir. La désespérance sociale pèse lourd dans l'espoir envers l'Ecole, pas plus responsable de cette dégradation qu'elle n'est comptable de l'affaiblissement de la valeur des diplômes quand ils ne suffisent plus à garantir l'emploi.
Une fonction d'émancipation
Si l'Ecole ne peut méconnaître les besoins économiques,
elle a conjointement une visée anthropologique et une mission politique
: former l'homme et le citoyen.
Rompant avec les sociétés d'initiation, reproductrices d'un
ordre social immuable, elle a une fonction d'émancipation : permettre
à chaque enfant de sortir des façons de voir, de faire et
de penser spécifiques de sa famille et de son environnement proche
pour accéder à des outils intellectuels à portée
plus universelle, d'élargir ainsi sa vision du monde, de "sortir
de lui-même" et de s'ouvrir à d'autres possibles. L'Ecole
permet à chacun d'évoluer personnellement mais aussi de
contribuer à l'évolution de la société, initiant
parallèlement à des façons d'être au monde
et aux autres sur la base de valeurs communes fondatrices du lien social.
Mais aujourd'hui et pour demain, dans les structures et les pratiques
scolaires quotidiennes, où s'incarne la fraternité ? Entre
laisser-faire et pratiques impositives, où s'exercent la liberté
et la responsabilité constitutives des sujets ? Centrale dans l'histoire
et l'évolution de l'Ecole française, qu'en est-il (et qu'en
sera-t-il) de l'égalité ?
Que changer dans l'École ?
Confrontée à une demande historiquement inédite avec
la loi de 1989, l'Ecole n'a pas toujours su adapter ses moyens à
ces visées (déjà à l'époque, on pressentait
qu'une mutation qualitative serait nécessaire pour passer d'un
enseignement élitiste à un enseignement de masse). Les défis
ne sont pas moindres devant nous : enrayer les difficultés face
à l'écrit, faire en sorte que chacun puisse profiter efficacement
de l'enseignement secondaire, garantir à tous l'accès à
une certification, viser un taux important niveau bac et toujours plus
conséquent post-bac...
S'adapter à la diversité des élèves, est-ce
poursuivre des ambitions culturelles fortes pour les uns... et se résoudre
à un savoir minimum "garanti" (?) pour les autres ? Est-ce
prévoir la découverte des métiers "plus tôt"
pour les seconds (sous prétexte de la diversité des "goûts"
et des "talents"), ce qui ressemble fort à une filiarisation
précoce larvée ? Ce serait accroître la ségrégation
scolaire : les comparaisons internationales montrent que les systèmes
les plus démocratisants sont ceux qui misent sur une École publique
forte, font le choix clair de la mixité sociale et repoussent la
filiarisation le plus tard possible. En matière d'éducation,
l'alignement sur l'Europe serait-il condamné à s'aligner
sur le "moins disant" ?
Une décentralisation hâtive n'est pas plus une garantie de
mieux : la fragmentation de l'institution, comme celle des filières
et des parcours rendrait l'Ecole encore plus opaque aux élèves
et aux familles populaires, avec le risque de piéger l'éducation
dans le jeu d'influences locales... au péril de l'égalité
d'offre et de conditions d'éducation.
Démocratiser l'accès au savoir passe par des efforts conjoints
hors l'école et dans l'école elle-même, au niveau
des pratiques enseignantes : engager les élèves - tous les
élèves - dans leurs apprentissages ; faire en sorte qu'ils
y transforment leurs façons de voir et de faire et qu'ils accèdent
aux concepts, codes et œuvres produits par les générations
passées et la pensée contemporaine ; ouvrir à un
rapport ouvert, curieux mais aussi critique, créatif et constructif
aux objets et pratiques culturelles à travers des apprentissages
solidaires.
Des pistes alternatives existent déjà, à tous niveaux
et dans toutes disciplines, relevant le défi d'une ambition et
d'une exigence égales pour tous, mais dont la promotion est encore
trop clandestine, faute de soutien institutionnel : démarches de
réelle co-construction de savoirs, ateliers de création,
projets transformateurs...
Une formation ambitieuse
Une transformation des pratiques nécessite une modification du
regard sur les élèves appuyée sur une interrogation
exigeante des savoirs en jeu : de quelle histoire sont-ils les produits
? Quelles ruptures en ont été constitutives et quels en
sont les enjeux actuels ? L'histoire culturelle est indispensable pour
anticiper les seuils intellectuels à faire franchir par les élèves.
La jonction de ce qui s'apprend à l'école avec ce qui trouve
usage et légitimité dans la vie sociale participe tout autant
à renouveler le sens des apprentissages pour les élèves.
Vivre soi-même en formation de telles pratiques, c'est créer
les conditions pour en percevoir les caractéristiques, la pertinence
et les enjeux, afin de les ré-investir dans les classes. Le travail
d'équipe, promu pour les élèves, ne peut qu'être
au principe d'une véritable formation à la transformation.
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