Prévenir, dépister ou enseigner
Yann Gibert | le 01/01/1970 00:00
Du rapport de l'Inserm au rapport Benisti et au carnet de comportement de Sarkozy, le projet du ministère est la dernière tentative...En savoir plus
Mouvement de recherche et de formation en éducation
Tous capables ! Tous chercheurs ! Tous créateurs !
(article paru dans la revue « Ecole Emancipée » n° 10 mars/avril 2008)
Des
programmes idéologiques
Sous prétexte d'un nécessaire recentrage sur des fondamentaux,
la mise en oeuvre du socle commun dans les programmes de 2008 confirme
l'ensemble des mesures prises et des discours tenus depuis le rapport
Thélot. Ce qui est au programme de l'école maternelle c'est
bien la transformation d'inégalités sociales en inégalités
scolaires. Au coeur de ces programmes on retrouve la teneur du rapport
Bentolila qui prône la mise en place d'une logique compensatrice
pour ces «enfants-là», ceux qui sont dans «une
grande insécurité linguistique», manifestent un «déficit
culturel» dû à «un contexte familial de silence
et d'indifférence». L'égalité des chances préconisée
dès le préambule, c'est bien le renoncement à des
ambitions démocratiques d'une école pour tous.
Ces programmes s'inscrivent dans un contexte qui permet d'en comprendre
la teneur et la cohérence (stages de remises à niveau, suppression
de deux heures d'enseignement pour un soutien aux plus «démunis»,
PPRE, évaluation comme épine dorsale du système).
Ils marquent une rupture quant à la conception des savoirs et de
leur enseignement, des élèves et de l'apprentissage.
Une logique de résultats plutôt que d'apprentissage
Ces programmes tournent le dos à la complexité du développement
des jeunes enfants. Ils affirment des visées utilitaristes qui
réduisent l'école maternelle à une fonction de certification
et de préparation stricte à un apprentissage technique de
la lecture, de l'écriture et du calcul au CP, sans prendre en compte
la construction de la personne dans et par les apprentissages. Ainsi dans
le domaine langagier, l'échange et l'expression sont réduits
à une pauvre mécanique : écouter et répondre,
redire des comptines, nommer des objets et des actions...
La socialisation scolaire permet l'adoption d'une posture d'apprenant
lorsqu'elle ne se résume pas à l'exercice du métier
d'élève, soumis à des normes comportementales, entraîné
à la compilation de compétences. La réflexion, la
prise de risque, l'imagination comme «instrument d'une relation
au monde extérieur et intérieur » disparaissent au
profit d'une instrumentalisation de certaines activités essentielles
dans le développement (éducation physique, artistique) ou
d'une technici sat ion qui évacue le questionnement, le désir
de comprendre et de savoir de tout jeune enfant. Des apprentissages techniques,
comme celui du geste graphique, coupés de toute signification,
présentés mensongèrement comme des pré-requis,
deviennent une finalité.
Des
« approximations » peu scientifiques
Dans la filiation du rapport Bentolila, des discours de Robien et autres
« nouveaux penseurs » de l'éducation, ces programmes
évacuent trente ans de recherches scientifique et pédagogique
: le graphisme, s'il favorise des apprentissages, n'apprend pas à
écrire.
La répétition d'histoires ou de contes ne permet pas à
elle seule de comprendre des récits. Mais il faut dire que l'un
des inspirateurs de ces programmes assigne au conte une visée thérapeutique
pour les élèves issus de l'immigration ! Enfin, une lettre
ne correspond pas à un son... A moins que ne soit promue comme
seule méthode de lecture, la planète des alphas... avec
un retour de la syllabique via l'école maternelle.
L'objectif annoncé en matière langagière est l'acquisition
«d'un langage oral riche», ce qui d'un point de vue linguistique
et sociologique n'a aucun sens. Mesure-t-on la richesse de ce langage
au nombre de mots mémorisés, à l'usage d'une syntaxe
correcte ou à la capacité à produire et organiser
sa pensée avec le langage ?
La méconnaissance (vraiment ?) de l'enfance et du développement
confine au ridicule : ainsi «dès la petite section les enfants
devront utiliser des calendriers, des horloges, des sabliers pour se repérer
dans la chronologie et mesurer des durées» !
Une
accentuation des différences
La naturalisation des différences entre les élèves
conduit à l'abandon de la spécificité de l'école
maternelle, spécificité qui consiste à permettre
à tous les élèves d'apprendre l'école en apprenant
à l'école, de construire dans les apprentissages le sens
de ces apprentissages, les modalités de leur réalisation.
En tournant le dos à cette mission, essentielle pour une réelle
démocratisation de l'accès aux savoirs, l'école maternelle
creuse les écarts, transforme les inégalités sociales
en inégalités scolaires. Ainsi la confrontation des élèves
à l'élément le plus abstrait de la langue que sont
les lettres, sans que le temps soit pris d'un travail de familiarisation
avec l'écrit, ne peut que favoriser la mise à l'écart
des élèves des classes populaires. Le primat de l'idéologie
sur la recherche scientifique prépare de véritables catastrophes
: comment imaginer que tous les élèves vont pouvoir connaître
en fin de grande section, vingt-deux correspondances entre lettres et
sons, c'est-à-dire plus qu'actuellement à la fin du premier
trimestre de CP ? C'est ainsi que s'organise une école à
deux vitesses. D'une part des ambitions au rabais, mais en même
temps des exigences de résultats inatteignables, particulièrement
pour ceux qui n'héritent pas des outils culturels et cognitifs
nécessaires aux apprentissages scolaires.
Au nom des rythmes et des besoins individuels (qui sont une construction
socio-culturelle) chaque élève exercera ses capacités
dans une école qui «lui lai s se le temps de s'accoutumer,
d'observer, d'imiter, d'exécuter, de chercher, d'essayer».
Et ces capacités sont bien sûr préalables à
tout apprentissage, justifiant si c'était encore nécessaire
les travaux de Bourdieu, dénonçant la violence symbolique
d'une école qui exige de tous la maîtrise de ce qu'elle ne
leur apprend pas. La seule fréquentation des objets de savoirs,
ne permet pas d'apprendre et l'automatisation n'est possible que s'il
y a construction des savoirs et donc compréhension.
Un
appauvrissement des contenus d'apprentissage
Le langage est assimilé à la langue, dans une confusion
que l'on ne peut imaginer fortuite. Ce qui permet d'affirmer qu'apprendre
à parler c'est apprendre le lexique et la syntaxe. Or les élèves
qui rencontrent des difficultés langagières à l'école
sont ceux qui ne sont pas en connivence culturel le avec les pratiques
langagières scolaires. Ils doivent changer de posture, passer d'un
langage utilitaire, contextualisé, à un langage qui met
l'expérience à distance et permet de penser le monde avec
les autres. C'est cela entrer dans la culture de l'écrit. Mémoriser
des mots nouveaux ne permet en rien de construire ce nouveau rapport au
langage, mémoriser des mots ne sert à rien pour échanger
avec les autres, pour penser. Mémoriser, c'est hors de toute véritable
pratique langagière, mémoriser des sons. Les mots adviennent
quand se construisent les concepts, quand ils sont nécessaires
à l'échange, la confrontation, le débat.
On imagine mal comment des objectifs aussi indigents que le respect du
thème imposé (Mr Bentolila estime que le thème importe
peu et que l'on peut donc apprendre à parler pour ne rien dire),
le respect du tour de parole, la collection de nouveaux mots permettront
que les élèves osent une parole singulière, s'aventurent
dans le risque d'erreurs, de tâtonnements, voire dans l'élaboration
d'une pensée qui n'es t pas sollicitée. Ils comprendront
assez vite que ce qu'ils pensent et disent importe beaucoup moins que
la manière dont ils le disent.
Difficile alors d'apprendre à parler ou de parler pour apprendre
!
L'entrée
dans l'écrit relève de trois activités :
«travail sur les sons de la parole, acquisition du principe alphabétique
et des gestes de l'écriture».
L'approche de l'écrit est étroite jusqu'au contresens :
la connaissance du code est réduite aux sons et aux lettres. Par
ailleurs le risque est grand d'augmenter les difficultés de nombreux
élèves, engagés dans des apprentissages précoces
et inadaptés.
Finis les ateliers d'écriture où les élèves
découvraient par la pratique les spécificités de
l'écrit, et en particulier le pouvoir qu'il donne. Les élèves
vont apprendre à copier.
Finies les reconnaissances de mots entiers, l'entrée progressive
dans le texte, la lente compréhension des correspondances entre
la chaîne parlée et la chaîne écrite. Les élèves
vont mémoriser des signes et des sons, alors que penser la langue
comme un objet, indépendant du sens, nécessite un long apprentissage,
particulièrement difficile.
Au nom d'une progression du simple au complexe, c'est par la difficulté
la plus grande que les élèves sont censés entrer
dans les apprentissages : un bon moyen pour fabriquer de l'échec.
L'accès
à la littérature est réduite à quelques
textes du patrimoine (ceux-là même peut-être que préconise
Bentolila qui trouve vulgaire la littérature contemporaine pour
la jeunesse) ou à des contes, dont les élèves devront
mémoriser des extraits. Les textes ne sont pas choisis parce qu'ils
incitent à la réflexion, donnent des clefs de compréhension
du monde (et l'on connaît l'importance de la littérature
à l'âge de la scolarité maternelle), non plus pour
la beauté de la langue, son éventuelle poésie, mais
parce qu'ils offrent «une correction syntaxique, un vocabulaire
précis». Et là encore l'entrée dans les textes
a d'abord pour fonction d'apprendre vocabulaire et syntaxe.
Tout est mis en place pour que ces élèves puissent penser
comme des collégiens interviewés dans un collège
que «la lecture est une activité scolaire». Il suffira,
pour finir de les en convaincre, d'attendre une compréhension littérale
du texte plutôt que de propose r un travail d'interprétation
des textes, qui seul permet la construction d'une posture de lecteur.
Mais qu'importe ! Alors que l'école formera au mieux des liseurs,
c'est dans les classes moyennes et supérieures que seront formés,
hors l'école, des lecteurs.
Cette école maternelle, d'où toute ambition culturelle est bannie, toute réflexion pédagogique abolie, va démontrer qu'il n'y a rien à faire pour ces élèves qui n'ont su saisir la chance qui leur est offerte, hormis continuer à leur proposer aide et soutien, remédiations diverses. Priver l'ensemble des élèves des apprentissages auxquels ils ont droit, c'est vouloir faire la preuve de la fatalité de l'échec scolaire.
Du rapport de l'Inserm au rapport Benisti et au carnet de comportement de Sarkozy, le projet du ministère est la dernière tentative...En savoir plus
L'individualisation des apprentissages à l'école maternelle renforce les écarts entre élèves car elle produit une...En savoir plus
mais le sort qu'on leur réserve nous inquiète Spécificités et enjeux de l'Ecole Maternelle Colloque 9 mai 2011,...En savoir plus
de S Chevillard (GFEN et ESCOL) à l'invitation de Mme Gonthier-Maurin : proposition de loi n° 447 sur l'obligation scolaire à 3...En savoir plus
Il n'y a pas de préalable à l'entrée à l'école. La socialisation scolaire se fait dans et par les apprentissagesEn savoir plus