L'aide personnalisée
| le 30/11/-0001 00:00
Un état des lieux de l'aide personnalisée dans les écoles montre qu'elle n'a pas les effets attendus et peut même avoir des...En savoir plus
Mouvement de recherche et de formation en éducation
Tous capables ! Tous chercheurs ! Tous créateurs !
Paru dans la revue les
cahiers pédagogiques (CRAP) n° 436, octobre 2005
Jacques Bernardin
(ESCOL Paris 8 / GFEN)
Elle n'est pas exempte d'ambiguïté, dans son intention comme dans ses effets : s'adressant souvent aux mêmes, elle tend à s'auto-alimenter. Sur le plan institutionnel, jusqu'où les dispositifs d'aide vont-ils se multiplier dans comme hors l'Ecole pour aider celle-ci dans ses missions ? Sur le plan individuel, certes les élèves sont sensibles à l'attention qu'on leur porte et aiment se sentit « encadrés » (ce qui est facteur de structuration) mais, comme beaucoup s'en inquiètent, comment sortir de la captation et de la dépendance ?
Le constat vaut de l'élémentaire au collège (a fortiori en SEGPA): plus on les aide, plus il faut les aider.Quelles sont les attitudes et comportements des élèves en difficulté ? Outre le manque de confiance en eux, ils ont tendance à se précipiter dans l'activité, sont dans l'ici et maintenant sans lien avec l'avant ni anticipation des visées ou bien font preuve de passivité et sont dans une posture attentiste, persuadés que « le prof va faire à leur place ».
Autant de symptômes d'un rapport au savoir maintenant bien analysé dans ses éléments différenciateurs[1]. Rappelons-en quelques noyaux durs : sur le plan identitaire, le manque d'estime de soi (ou parfois la toute puissance, au même effet démobilisateur) ; sur le plan des apprentissages, un savoir conçu comme objet plus ou moins « utile » (qui se transmet, se mémorise afin d'être restitué au contrôle) avec une tendance forte à penser qu'il suffit de se conformer aux rituels scolaires et de se centrer sur l'effectuation de tâches parcellaires pour satisfaire aux demandes, dans l'aveuglement par rapport aux buts cognitifs et aux visées intellectuelles qui les légitiment, ce qui amène ces élèves à s'en remettre entièrement à l'enseignant, qui « dit ce qu'il faut faire ». On pressent mieux alors pourquoi l'aide tend à exacerber cette dépendance.
Transformer notre rapport à l'enseignement
Comment en sortir ? Autant que possible en intervenant en amont, au moment où s'initient les apprentissages d'une part, et de manière générale en modifiant notre posture à leur égard d'autre part.
Aider, c'est d'abord faire le pari d'éducabilité, et concevoir autrement nos « leçons ». Beaucoup de contributeurs ont insisté sur ce point. Le rapport au savoir des élèves ne serait-il pas redevable à ce qui s'est initié au fil des cours : conception d'un savoir-objet qui se transmet / reçoit « en forme » plus qu'à conquérir, re-construire par les élèves ? Faut-il s'étonner qu'ils soient passifs et en attente quand l'écoute déférente est la règle ? Les résultats aux évaluations PISA de 2003 en mathématiques ici évoqués se trouvent en écho avec ce que celles de 2000 constataient en lecture : les élèves français se singularisent par un nombre plus important de non réponses et par une faiblesse aux items sollicitant l'exploration et leur point de vue distancié et critique vis-à-vis des textes proposés. Comment ne pas y voir un effet de système, révélant la faible part d'initiative, d'expérimentation et de débat accordée aux élèves ? Les demandeurs d'aide pourraient bien être des révélateurs du brouillard dans lequel on les a maintenus en matière de travail intellectuel.
Les propos des élèves sont d'une grande sagesse, quand ils nous rappellent qu'on aide mieux « si la personne est motivée pour apprendre », « quand on ne donne pas la réponse » et « quand on laisse chercher »... ce qui suppose (ils ont encore raison) « d'être encouragé, car lorsqu'on a confiance en soi, on surmonte plus facilement les difficultés ». Les attentes positives à l'égard des élèves sont un facteur majeur de leur implication et de leur persévérance. Elles conditionnent et soutiennent les situations de recherche sollicitant leur engagement et leurs efforts pour comprendre.
Mais pour mettre en route de telles situations, encore faut-il être persuadé que rien ne va de soi dans ce qu'on enseigne ! Un des bienfaits de l'aide concerne... les enseignants qui s'y sont frottés. Que ce soit dans l'enceinte scolaire ou en dehors, beaucoup disent avoir découvert ce qu'ils ne soupçonnaient pas, et avoir changé leur façon d'enseigner (« animer un groupe m'a aidée »). S'attacher à parler à l'élève le plus faible lors de la conception de la leçon, c'est se donner les moyens de parler à tous. Pour entrevoir autrement notre métier, encore faut-il sortir de la relation d'évidence vis-à-vis des savoirs en jeu : quelle prise de conscience, quelle bascule conceptuelle ou procédurale faut-il faire opérer aux élèves sur ce point du programme ? Quels obstacles à la compréhension peut-on anticiper ?...
Aider, c'est s'avouer ignorant... Tant que l'élève aidé est persuadé trouver l'étayage qu'il sollicite, il aurait tort de s'empêcher d'y recourir. Quand va-t-on refuser l'aide ? C'est pourtant la condition pour qu'ils s'y mettent ! Ainsi un professeur de mathématiques amorçait-il l'année avec ses élèves de Terminale (littéraire, faut-il le préciser) par un « Je ne peux rien pour vous ! » moins constat fataliste qu'électrochoc pour les amener à réagir, leur signifiant : rien n'est possible sans vous, tant que vous vous auto-condamnez à l'impuissance avant même d'avoir essayé... à nouveau et dans d'autres conditions.
Pour permettre ce changement de posture des élèves, encore faut-il en effet que les conditions s'y prêtent : la situation « ouverte », on l'a évoqué, est évidemment plus propice à l'engagement des élèves que le cours reçu, pour autant que les élèves acceptent de l'investir. Qu'est-ce qui y contribue ? Outre la présentation de l'enjeu de l'activité (qui la légitime et lui donne sens), la clarté des consignes et des modalités de travail, tout comme la règle de l'entraide posent un cadre rassurant permettant d'assumer dans un premier temps l'angoisse de la solitude face au manque, à l'incertain, à l'inconnu. Refuser l'aide (qui consiste à faire et penser à leur place), c'est autoriser les élèves à chercher, à se tromper, à recommencer, ce qu'ils ne peuvent faire que dans un espace sécurisé, à l'abri des moqueries et des sanctions. On contrôle beaucoup à l'Ecole, mais quand apprend-on ? Historiquement, cette institution a pourtant été conçue à l'abri des impératifs et urgences du réel et de la production, espace soulagé de ces contraintes reconnaissant à chacun le droit de se tromper sans risque. Combien d'élèves sont figés par crainte de la sanction ou de la remarque blessante ? Combien imaginent qu'à l'Ecole, on ne peut qu'avoir juste ou faux ? Refuser l'aide, c'est postuler leur intelligence, condition pour la faire fructifier.
De façon générale, que ce soit dans le cadre d'interactions individuelles, en groupe restreint ou avec la classe, sevrer les élèves de notre aide exige de s'astreindre... à ne pas savoir, d'adopter la posture paradoxale du « maître ignorant ». Qu'as-tu à faire ? Qu'en penses-tu ? Comment vois-tu ça ?... Il existe bien des manières de s'adresser au sujet pour le responsabiliser, de faire en sorte qu'il s'interroge sur la demande qui lui est adressée, de le pousser à se représenter le problème, à s'en faire une idée, le formant ainsi à l'analyse de situation. Inutile de s'interroger sur les moyens à mettre en œuvre tant que le but n'est pas identifié ! Ensuite, l'appel à convoquer l'ensemble de ses ressources l'oblige à tisser des liens avec ce qu'il connaît déjà, avec ce qu'il a vu précédemment et avec tout ce dont il dispose par ailleurs (dans des outils référents : cahiers, livres, atlas, dictionnaires, etc.). Aucune recherche n'est possible sans points d'appuis, et il faut bien identifier des substituts fiables à la parole de l'expert pour un jour, pouvoir s'en passer. C'est d'initiation aux techniques de travail qu'il s'agit alors.
Enfin, parmi les aides substitutives les plus opératoires, il nous faut également compter avec les pairs. Dans un cadre plus collectif, s'astreindre au renvoi et à la confrontation des propositions introduit le doute et une première prise de distance vis-à-vis des certitudes initiales ; saisir les contradictions et les mettre en scène pousse les élèves à se justifier, à rechercher de nouveaux points d'appui, à argumenter pour convaincre et, faute d'y parvenir ou face à l'impasse persistante, à opérer de nouvelles mises en relation, à penser « à côté », à inventer du neuf... A l'enseignant de pousser au dévoilement de la diversité des hypothèses, indices et stratégies, d'en mener une confrontation polémique afin d'amener les élèves à en sanctionner l'économie et la pertinence face au problème posé. Différer l'irruption de la « bonne réponse » permet de déplier en chemin ou à terme, lors du retour réflexif, les procédures intellectuelles à mettre en œuvre pour accéder à la compréhension et à la maîtrise.
Les élèves ne sont pas seuls à résister...
Se taire pour qu'ils pensent par et pour eux-mêmes : facile à dire, pas si facile à faire, disent les enseignants. Qu'est-ce qui se cache derrière ces résistances ?
Tout cela bouscule les routines et les impensés du métier, imprégnés de longue date dans les mentalités collectives : le modèle du magister surplombant sa classe dans une écoute dévote et subjuguée serait-il toujours l'idéal professionnel qui structure nos conduites ? Conception de l'enseignement en adéquation avec notre propre rapport au savoir, lui-même patiemment construit au fil d'un cursus certifiant notre légitimité institutionnelle, donnant primauté au résultat dans l'effacement des conditions l'ayant permis (mobiles d'apprendre, posture, opérations et outils intellectuels mis en oeuvre). Très souvent initiées à notre insu, ces dispositions face aux études sont pré-supposées chez des élèves qui n'ont pas eu les mêmes conditions de socialisation. Il est difficile de s'« étranger » avec le familier... pour nous aussi.
Si l'on considère que le contenu visé s'impose d'évidence (dans sa proposition comme au niveau de sa compréhension), pourquoi « perdre son temps » dans cette sollicitation des élèves à penser par eux-mêmes ? Le temps, plus contraint dans le secondaire, sert fréquemment de prétexte au statu quo des pratiques. Or, prendre son temps n'est pas le perdre quand il s'agit d'opérer des renversements indispensables aux progrès. Encore faut-il être persuadé que chacun des élèves en est capable, et ne pas figer leurs difficultés en naturalisant leur origine (si l'intelligence s'hérite et si les conditions sociales obèrent tout espoir de progrès, les efforts sont effectivement vains de part et d'autre...).
Donner la parole aux élèves, n'est-ce pas abandonner son poste, signifier la vacance du pouvoir, s'exposer aux débordements, et finalement perdre son autorité ? Leur donner la parole n'est pas leur laisser pour aller n'importe où ! Les élèves sont sensibles à l'intérêt qu'on porte à leur avis, pour autant que celui-ci soit réellement pris en compte, c'est-à-dire soumis à discussion dans un échange critique et constructif. Ce qui fait l'autorité de l'enseignant, c'est la capacité de conjuguer respect des sujets qui s'expriment et tension vers la connaissance, l'intercompréhension, la signification co-élaborée à valeur plus universelle. Il faut voir la jubilation des élèves quand ils viennent à bout de ce qui jusqu'alors résistait, preuve de leur intelligence en chantier. Décupler leurs pouvoirs de penser n'est pas amoindrir son autorité...
Transformer notre regard sur les capacités des élèves et sur les enjeux de l'acte éducatif : affaire de posture qui s'articule à des choix qu'on peut difficilement prescrire, tant ils engagent au-delà de la « technicité » professionnelle. L'aide est à la pédagogie ce que l'action humanitaire est à la politique : toujours plus indispensable... permettant que sur le fond, rien ne change. Si aider, c'est dominer et asseoir durablement leur dépendance, quelles ruptures sommes-nous prêts à engager pour émanciper les élèves ?
[1] B. Charlot, E. Bautier, J-Y Rochex, « Entre apprentissages et métier d'élève : le rapport au savoir », A. Van Zanten (dir.), L'Ecole, l'état des savoirs, La Découverte, 2000.
Un état des lieux de l'aide personnalisée dans les écoles montre qu'elle n'a pas les effets attendus et peut même avoir des...En savoir plus