Les tout-petits peuvent être dangereux
Les
tout-petits peuvent être dangereux !
Michel Ducom
éditorial du GFEN Actu,
Septembre 2005
Une expertise récente de l'INSERM (Institut national de
la santé et de la recherche médicale) vient d'être
rendue publique (22 septembre) et reprise par la presse. Il faut
dire que ses résultats sont sensationnels ! 9 % de la population
serait concernée ! Le rapport préconise en effet
une évaluation des enfants dès l'âge de 3
ans car certains seraient susceptibles d'avoir des comportements
associaux voire violents à 15 ans ! Et si le chiffre concerne
aujourd'hui 9 % des enfants il est logique de penser que si cette
étude avait été menée en son temps
sur toute la population nous verrions enfin l'étendue des
dégâts dans notre société violente
!
9 Français sur 100 seraient une menace dans le métro,
le bus ou pour votre carte bleue. Si, de plus, une fiche avec
indice de dangerosité avait été livrée
dès l'âge de trois ans pour chaque citoyen nous aurions
pu éviter les victimes des sérials killers ! Imaginons
que nous ayons pu dépister assez tôt le comportement
terriblement violent de celui qui a pris la décision de
licencier 1243 salariés de chez Hewlett Packard sans raison
majeure puisque l'entreprise gagne beaucoup d'argent, et celui
non moins violent de ceux qui ont établi les listes nominatives
de licenciement, quel soulagement ! Le monde tournerait rond,
la guerre d'Irak serait terminée et les prisons seraient
vides. Mais tout cela va s'arranger : évaluons à
trois ans tous les enfants et cherchons leur risque de comportements
violents : nous finirons bien par les trouver puisque le nombre
est tombé : 9 %. Et il n'y a rien de plus clairement scientifique
qu'un pourcentage ! D'ailleurs, par hasard, le « Canard
enchaîné » vient de révéler cette
semaine la proposition on ne peut plus claire du Syndicat des
Commissaires de Police : « Il faut une prévention
précoce des enfants à risque. Aucune action à
ce jour n'a été expérimentée
auprès des enfants qui présentent un comportement
prédicteur (sic) de délinquance dès la crèche,
la maternelle ou l'école primaire. » Vous avez
bien lu.
Bien entendu il restera à découvrir le remède,
la pilule qui va normaliser ces détraqués. Elle
existe aux USA et elle enrichit un laboratoire. Mais elle est
fortement discutée par une partie de la population car
elle transforme assez facilement en légumineuse de petits
enfants d'homme. Qu'à cela ne tienne, nous allons inventer
une pilule européenne, elle est même peut-être
prête si on en croit quelques mauvaises langues, et les
profits attendus auraient déjà étés
évalués par les entreprise pharmaceutiques...
Car c'est bien des attentes qu'il s'agit : attente de bénéfices
sur la misère et la crédulité, attentes négatives
et ravageuses des familles quand elles recevront le résultat
d'une telle évaluation : attendre pendant des années
de pouvoir dire : eh bien vous voyez, c'est normal, à trois
ans il était déjà classé violent,
on n'y peut rien... S'inquiéter dès le premier
pas qui n'est pas dans la norme de savoir comment faire pour le
normaliser... Et la société toute entière
va se voir confrontée à un nouveau concept qui est
aussi une vieille lune : l'inégalité de départ,
concept qui justifie toutes les inégalités ultérieures
: le collège à deux vitesses de la loi Fillon, les
riches méritants et les pauvres stigmatisés, le
soutien au rabais pour de pauvres scolarités et l'inégalité
des réussites. Quant à l'enfant qui saura très
tôt dans quelle catégorie d'humain il a été
classé par des irresponsables comment fera-t-il pour échapper
aux processus d'intégration de son destin social en destin
individuel ? Je suis anormal, c'est sûr, ce n'est pas la
société qui est oppressive... Une terrible bataille
d'idées devient violente : les êtres humains sont-ils
oui ou non égaux en droit, en possibilités, et infiniment
solidaires, donc éducables, ou bien y a t-il des êtres
inférieurs au comportement dangereux ? L'Europe a déjà
connu ce débat. Mais c'était dans les années
trente et elle s'en est mal tirée. Oui, c'est bien
l'idéologie misérable des dons qui ressurgit
et nous commande de nous faire entendre avec nos pratiques et
nos arguments !