De l'ambition pour l'école
Yann Gibert | le 01/01/1970 00:00
L'école forme, certes... mais à quoi ? Quand l'individualisation sert l'exclusion. Retrouver la saveur des savoirs pour redonner sens...En savoir plus
Mouvement de recherche et de formation en éducation
Tous capables ! Tous chercheurs ! Tous créateurs !
Les inégalités perdurent et s'accroissent, malgré la volonté des enseignants de les réduire, source de malaise professionnel accru. Si on ne peut mésestimer l'incidence de la dégradation des conditions de vie des familles et des mauvais coups portés à l'École, cela ne saurait nous exonérer d'un questionnement des pratiques professionnelles, aujourd'hui et pour demain.
Les pratiques ne sont pas indépendantes du cadre institutionnel et politique qui les légitime, les impulse et les accompagne.
Aujourd'hui, l'école est asphyxiée sous la pression d'injonctions paradoxales :
- Comment « Faire réussir tous les élèves » alors les territoires fragilisés ne sont plus prioritaires, qu'on ne se soucie que de l'excellence tout en développant l'alternance post 5è ? Retour à l'école à deux vitesses, sans carburant ni destination claire, propre à « désorienter ».
- Comment « Personnaliser les apprentissages » alors que les effectifs augmentent et que l'horaire d'enseignement ordinaire diminue, au profit d'une externalisation du traitement de la difficulté hors des murs de la classe. L'aide personnalisée apparaît dans ce contexte comme lot de consolation pour les perdants, « personnalisation » d'une éviction sociale silencieuse.
- L'« Evaluation », érigée en dogme à tous les étages, loin de mettre en valeur les progrès comme son étymologie l'indique, non seulement n'apporte que bien peu à la régulation de la classe, n'alimente qu'un pilotage de contrôle, mais elle mord sur le temps dévolu aux apprentissages, voire amène au « teaching for test », lente dérive amenant à n'entraîner les élèves qu'à réussir ce qui sera évalué, comme d'autres pays en ont fait l'expérience...
On voudrait plier l'école aux règles libérales, réduire l'éducation au minimum requis pour répondre aux critères d'employabilité, arrêter le principe d'expansion de la démocratisation qui prévaut depuis l'après-guerre qu'on ne s'y prendrait pas autrement.
La sociologie des organisations nous apprend que toute réforme nécessite une mobilisation des acteurs, une clarification des missions, un outillage et un accompagnement conséquents. Trois conditions semblent indispensables pour œuvrer à un véritable changement.
1/ Un projet politique pour l'École, réaffirmant, en amont de sa fonction certificative, la primauté de ses fonctions formative (contribuer au développement et à l'émancipation intellectuelle) et sociopolitique (promouvoir des valeurs, une certaine manière d'être au monde et aux autres, exercer la citoyenneté), avec un objectif explicite de démocratisation élargie de l'accès au savoir. Les comparaisons internationales attestent qu'efficacité rime avec équité[1]. La promotion collective est donc un choix tout-à-fait « raisonnable ».
2/ Un cadre institutionnel porteur. Il faudra d'autres moyens pour l'École publique. Les systèmes les plus « démocratisants » sont ceux qui ont un service public fort, seul à même d'organiser la mixité sociale et scolaire, facteur clé d'une stimulation réciproque (l'« effet de contexte » pèse lourdement sur l'expérience scolaire[2]). Plusieurs options structurelles apparaissent favorables à une évolution positive :
- la carte scolaire (outil permettant de lutter contre « l'apartheid scolaire ») ;
- un tronc commun véritable jusqu'au terme du collège ;
- la suppression du redoublement et des classes de niveau[3].
A cela s'ajoute la nécessité de changements pédagogiques. Les pays qui ont amélioré leurs résultats ont supprimé les notes. Privés de ces moyens incitatifs, les professionnels ont dû trouver d'autres moyens pour intéresser et impliquer les élèves. Au niveau des principes éducatifs, la Finlande par exemple est passée d'un système organisé autour de l'individualisation, la recherche de performance, le contrôle et la sélection à un système s'appuyant sur la responsabilité, la confiance et les échanges entre pairs. Tout cela implique une transformation profonde des habitudes héritées du passé...
3/ Une formation conséquente. Les pays qui ont les meilleurs résultats et parviennent le mieux à enrayer les effets des facteurs sociaux sont ceux qui ont investi dans une solide formation initiale des enseignants, sans pour autant négliger l'accompagnement des acteurs sur le terrain, en incitant fortement au travail en équipe.
... la pensée qui les fonde. En effet, les pratiques sont sous-tendues par nombre d'implicites, relevant d'habitudes professionnelles lentement sédimentées à l'échelle individuelle et/ou collective. Ainsi, chacun adopte telle posture, telle façon de dire et de faire en classe, tend à s'inscrire dans ce qu'il croit être des « lois du genre » en matière de regard porté sur les élèves, d'approche des contenus et de conduite de l'apprentissage.
1) Le regard porté sur les élèves.
Qu'est-ce qui caractérise le comportement des élèves qui nous préoccupent ? Ils sont peu intéressés, à la fois lents à s'y mettre et pressés d'en finir, ne donnent guère de sens à leur présence au-delà de la nécessité de se soumettre à l'obligation scolaire. Comment y répondre ? Par un programme épuré et minimaliste, par l'option de filières courtes ? C'est une réponse politiquement régressive et théoriquement paresseuse.
Comment expliquer ces différences ? Depuis le rapport Thélot, on évoque la diversité des « aptitudes », « talents », « rythmes » et « formes d'excellence ». Cela renvoie à ce qui relèverait d'une nature contre laquelle on ne peut rien, à des singularités irréductibles qu'il reviendrait à l'école de révéler et sur la base desquelles elle devrait s'adapter en différenciant les contenus, les modalités de travail, les parcours et les aides. Rhétorique propre à justifier le tri social au nom du respect des différences (devinez qui préfère les filières courtes !).
Or, les recherches ont montré le caractère socialement construit des goûts, intérêts, aptitudes et dispositions (travaux de sociologie critique autour de Bourdieu des années 60-70) et, plus récemment, depuis les années 90, du rapport au savoir des élèves. Ces recherches éclairent la compréhension des attitudes des élèves à l'égard de la scolarité et en classe vis-à-vis du savoir et de l'apprentissage, ouvrant de nouvelles pistes pour l'action pédagogique.
Avec le creusement des problèmes sociaux, la montée de la pauvreté et de la précarité, on assiste à un retour des théories fatalistes et des discours de renoncement. Les enseignants, désespérés de ne pas voir les choses réellement avancer malgré leurs efforts, n'en sont pas épargnés. Il faut redire l'importance du pari d'éducabilité, dont le GFEN bouscule la prudence éthique avec le défi du « Tous capables », incitant chacun à repousser des limites intériorisées, défi dont on perçoit la portée sociale.
L'éducateur, c'est celui qui ne renonce pas, regarde l'élève au-delà de lui-même, anticipe sur son développement et l'aide à grandir. La motivation des élèves est en écho avec notre mobilisation à leur égard. On connaît le rôle des attentes, prophéties d'autant plus auto-réalisatrices qu'elles s'incarnent dans le type d'activités proposées, dans les sollicitations et les interactions verbales comme non verbales, à l'insu même des acteurs.
Toute activité comporte deux faces, l'une cognitive, l'autre identitaire. La réussite conforte, l'échec fragilise l'estime de soi. 45 % des élèves français se sentent « à leur place » à l'école, contre 81 % en moyenne dans les pays de l'OCDE ?[4] C'est dire l'importance du sentiment de maîtrise... Ce qui nous amène à interroger les conditions pour y parvenir.
2) L'approche des contenus
Ceux-ci sont trop souvent transmis comme des évidences. Les enseignants ne seraient-ils pas victimes de leur excessive familiarité, de leur connivence avec leur domaine ? Sur quoi s'appuyer pour « reprendre la main » ?
De quelle nature sont-elles ? Que révèlent-elles des sources d'incompréhension des élèves ? C'était le point faible en 2006, selon le rapport de l'Inspection Générale sur les Réseaux Ambition Réussite[5]. L'erreur relève-t-elle d'une mise en relation inadéquate, d'un malentendu quant au but visé ou de procédures non opératoires ? Prenons des exemples classiques.
- En lecture, des élèves sont lents, butent sur les mots, ont des problèmes de compréhension. Pour les faire progresser, les professeurs les entraînent à la lecture expressive. Les résultats sont assez décevants... En fait, l'entraînement confirme l'ambiguïté quant à la visée de l'activité (bien oraliser vs comprendre), amenant les élèves à se polariser sur des opérations de « bas niveau » (décoder, identifier successivement chacun des mots), au détriment d'opérations de « haut niveau » (mises en relation, inférences, élaboration progressive de la signification).
- En mathématiques, comme les élèves ont du mal à comparer les nombres décimaux (7,25 / 7,8), on leur conseille « d'ajouter un unicode2utf8(0x20180)' ». Certes, la procédure est efficace pour la comparaison, mais redoutable pour d'autres opérations... En effet, elle les confirme dans un malentendu : l'appréhension de la partie décimale comme entier !
Ainsi, faute de cerner précisément l'origine des erreurs, on risque de s'épuiser dans des aides qui renforcent les malentendus (ce qui finit par désespérer l'élève sur ses capacités, et l'enseignant sur ses possibilités de le faire progresser !). Cette analyse des erreurs ramène souvent à des incompréhensions conceptuelles non levées, occultées par l'exercice routinier de procédures. Et si, au lieu de s'y épuiser, on intervenait en amont, lors des séances inaugurales ? Ce qui exige une interrogation de fond des notions en jeu...
Qu'y a-t-il à faire comprendre ? Que peut-on anticiper des difficultés des élèves à y parvenir ? En 2009, selon l'AFEV, 64 % des élèves avouaient ne pas toujours comprendre (souvent pour 20 % des élèves), 37 % avaient mal au ventre, peur de se tromper. Depuis, cela ne s'est pas amélioré[6]. Pourquoi ce qui fait évidence pour l'expert reste-t-il si opaque pour les novices ?
La plupart des objets (codes symboliques, concepts, œuvres) échappent à la transparence, à l'apparente simplicité, dès lors qu'on considère les caractéristiques de leur conception :
- ils sont produits de tout un processus socio-historique, amorcé par une question initiale, un problème à résoudre (ex. comment communiquer à distance sans ambiguïté, comptabiliser des grands nombres, mesurer des terrains, se prémunir des maladies, prévoir les catastrophes naturelles, rendre compte de la perspective ?...) ;
- leur genèse, enrichie de co-pillages interculturels, est jalonnée d'erreurs rectifiées ;
- ils se sont progressivement structurés à l'aune du double principe d'efficacité (il faut que ça marche, que ça réponde au problème posé) et d'économie (le moins coûteux finit toujours par s'imposer). Ainsi, les systèmes d'écriture et de numération, pour ne prendre que ces exemples, sont à considérer comme des « arbitraires contraints ».
- Enfin, s'ils se sont imposés laborieusement, en rupture avec l'expérience sensible, le bon sens, l'opinion commune[7], ils ouvrent à des pouvoirs accrus sur le monde.
Pour les élèves qui nous préoccupent, les savoirs restent des objets « froids » et formels, définitivement extérieurs, dont le sens s'arrête à l'obligation scolaire, à la recherche de la bonne note, de la réussite au contrôle, au « bon métier » plus tard. Autrement dit, le sens des savoirs est figé dans leur valeur d'échange, au détriment de leur valeur formative[8].
Comment restituer l'essence des savoirs, ce qui fait leur saveur ?[9] Comment restituer leur sens originel d'outils opératoires témoignant de l'intelligence collective de l'humain pour s'émanciper des fatalités ? Suffit-il de raconter une petite histoire sur la grande Histoire à la fin du cours ? C'est insuffisant... Cela exige d'organiser, sur la base de ce questionnement épistémologique, une rencontre stimulante et fructueuse des élèves avec ces objets culturels. Vivre le savoir comme aventure humaine, proposition à entendre comme moyen à mettre en œuvre en classe et comme finalité, pour renverser le rapport au savoir et à ses enjeux.
C'est plaider pour une conception forte du savoir (distingué de la connaissance comme de l'information), s'inscrire dans une approche culturelle ambitieuse des programmes pour que le « commun » ne se réduise pas à un repli sur des apprentissages fondamentaux asséchés, à une instrumentalisation courte et techniciste visant l'employabilité, sous la pression évaluative... Cela pose parallèlement la question du scénario pédagogique et de sa conduite. Comment « faire classe », et pas seulement la tenir ? Récemment interrogée sur ce qu'il conviendrait de changer, une Inspectrice générale s'interroge : « (...) En classe, est-ce qu'on apprend vraiment ? (...) Pour bien faire, pour que leurs élèves se sentent bien, aient la satisfaction de réussir, fassent aussi moins de bruit... nombre d'enseignants remplacent de façon plus ou moins inconsciente les temps d'apprentissage par des séances d'activités. (...) Les élèves ont travaillé individuellement, on les a aidés, ça ne fait pas de bruit, les élèves sont souvent contents de cette modalité de cours, mais on peut recommencer (...), parce que rien n'est acquis réellement »[10]. Ce qui, pour le moins, interroge la conception de l'apprentissage.
3) La conception de l'apprentissage
De multiples enquêtes réalisées auprès d'élèves du Secondaire ont révélé des conceptions clivées quant à ce qu'est « apprendre une leçon ». Ainsi, pour une majorité d'élèves, c'est mémoriser (selon les classes, de la moitié aux deux tiers des élèves, « par cœur » ajoutent certains), quand d'autres affirment qu'il s'agit surtout de comprendre (environ un tiers des élèves en moyenne)[11]. Comment l'expliquer ?
Plusieurs hypothèses peuvent être avancées :
- l'incidence des conceptions des parents (que l'on sait différentes selon les univers sociaux) ;
- l'interprétation du travail du soir. Ce qui pose deux questions : y a-t-il toujours clarté des attendus ? Et travaille-t-on suffisamment les techniques de travail dans l'espace scolaire ?
- Au-delà, la vision de ce qu'est « apprendre une leçon » peut être involontairement brouillée depuis le cours. Faute d'avoir compris, les élèves sont condamnés à la mémorisation (certains ajoutent « pour le contrôle »), avec une mémoire vite saturée car non organisée en mémoire sémantique. Certains élèves à hélas trop rares à l'ont saisi quand ils expliquent que « quand tu as compris, ta leçon, tu la sais... ».
Comment s'y prennent-ils pour apprendre ? Pour mémoriser, les uns disent lire, relire, réciter ; quand pour comprendre, les autres reformulent, cherchent les mots clés, sérient l'essentiel, résument ou reconstituent le plan, retrouvent « la logique de la leçon », font parfois une fiche récapitulative et s'exercent en vue d'un réemploi ultérieur. Chacun imagine aisément que les résultats obtenus comme la durabilité des acquis et leur possibilité de mobilisation ultérieure ne peuvent être semblables...
Conçu comme une récitation (« comme une poésie », nous disent plusieurs élèves), le savoir reste un objet extérieur qui peut être transmis comme un catéchisme... mais au risque d'une forte déperdition (sitôt le contrôle passé) et d'une faible capacité de transfert. A contrario, conçu comme (re)découverte/réappropriation, pas seulement produit à stocker mais aussi processus, savoir convoque et met à l'épreuve les connaissances antérieures (passage des concepts quotidiens aux concepts scientifiques, selon Vygotski) voire des modes de pensée (pour Bachelard, il s'agit moins d'acquérir une culture que de « changer de culture »[12]). Ce qui transforme la vision des choses et concourt au développement des sujets qui s'y frottent.
Faire en sorte que tous les élèves comprennent oblige à réaménager les modalités d'apprentissage. La transaction du savoir ne passe alors plus par le couple enseignant/ élève dans une relation descendante, mais par la triangulation à organisée par l'enseignant - entre l'élève, l'objet et les autres. Médiation simultanément culturelle et cognitive à nouer de chacun à l'objet (provoquer l'implication personnelle) et entre les divers points de vue sur l'objet considéré. Autrement dit, il s'agit de mettre le problème « entre les mains » des élèves (processus de dévolution), de provoquer le débat argumenté, d'amorcer le processus d'objectivation (selon les termes de Wallon) et de le pousser jusqu'à la conceptualisation. Com-prendre, c'est prendre ensemble, opérer les mises en relation pertinentes et signifiantes pour saisir l'objet étudié de façon adéquate, mais aussi construire une signification partagée au terme du voyage intellectuel.
Expérience nécessairement personnelle de confrontation à la double altérité de l'objet à comprendre et des autres à convaincre. Ce qui interroge la façon habituelle d'appréhender la personnalisation des apprentissages, prescription consensuelle mais aux contours flous. « Personnaliser » n'est pas individualiser, mais engager chacun dans un processus de transformation grâce à la confrontation réglée à la fois par l'exigence de la preuve (que m'imposent les autres, en désaccord) et par la normativité propre à l'objet (historiquement éprouvée).
Cet ensemble nous amène à redéfinir les contours de la professionnalité enseignante à venir.
4) Le rôle de l'enseignant
Il pourrait se recomposer autour de trois déplacements, relatifs à l'approche des contenus, à la conduite de la classe et au mode d'exercice du métier.
1- Passer d'expert dans sa matière à expert de la « mise en culture » de sa matière.
Comment pourrait-on définir cette « mise en culture » apte à faire fructifier les savoirs tant sur le plan quantitatif (qu'ils parlent à plus d'élèves) que sur le plan qualitatif (transformer de façon significative le rapport des élèves au domaine) ? Il s'agit conjointement de :
- Faire en sorte que les élèves comprennent les notions et concepts essentiels ;
- Qu'ils développent la posture et s'approprient les techniques intellectuelles adéquates à la discipline (ex. l'approche et les outils de l'historien ne sont pas ceux du scientifique, du littéraire ou de l'esthète...) ;
- ... et ce faisant, qu'ils acquièrent confiance en eux et désir d'en savoir plus.
Autrement dit, travailler un ensemble de concepts, pratiques et dispositions de telle sorte que chaque discipline contribue à « introduire à un ordre de raison qui les déborde ». Ce qui pourrait définir les contenus d'une culture scolaire commune, non dans l'esprit d'un viatique pour l'employabilité mais à visée propédeutique, tremplin potentiel permettant d'explorer d'autres horizons[13].
2- Moins « faire cours » pour davantage « faire classe »
Et pour cela...
- mobiliser chacun des élèves, en imaginant une situation initiale qui fasse sens (« mise en scène » pédagogique qui interroge, trouble les certitudes, lance un défi, pose une énigme...), apte à convoquer la diversité des expériences ;
- accompagner le cheminement cognitif, en renvoyant les questionnements et la validation des propositions au groupe. Organiser le croisement des points de vue, stimuler l'argumentation et l'exercice de la preuve, catalyser la conceptualisation, afin d'asseoir la compréhension ;
- ... et préparer leur émancipation intellectuelle en développant la réflexivité, depuis l'analyse préalable de la situation (éléments à disposition, appropriation de la consigne et clarification du but, mobilisation des ressources) jusqu'à la reprise distanciée (quels déplacements opérés, quels moyens mis en œuvre ?).
Face à l'hétérogénéité, faut-il individualiser davantage ? Les élèves souffrent déjà d'un excès d'individualisation en restant seuls face à l'incompréhension et les enseignants ne peuvent s'épuiser à jouer les précepteurs. Quels constats peut-on faire, en observant les classes ou la plupart des dispositifs d'aide ? L'individualisation « précipite » les différences, contribue à les ancrer et à les accroître, alors que la co-construction en fait un tremplin, dynamise à la fois l'appropriation des contenus et l'apprentissage de l'esprit critique, de la raison. Au-delà de la compréhension de chacune des notions, se construit une manière d'être au monde et aux autres, pratique exigeante de la citoyenneté au cœur des apprentissages.
3- Sortir d'une approche solitaire pour y substituer une conception collective du métier.
Face aux défis à relever, une telle pratique gagnerait à prévaloir à deux niveaux :
- au niveau de l'établissement, aller vers davantage de convergence éducative (ce qui ne signifie pas similitude, la diversité pouvant enrichir le collectif), dans la durée.
- Au niveau professionnel, penser collectivement le métier. Sérier les points clés du programme, co-élaborer progressions et séances, mutualiser les pratiques et pouvoir les analyser en les mettant « devant soi » afin d'en dresser le bilan critique et de prospecter d'autres possibles. Autrement dit, construire des intellectuels collectifs.
Pour amorcer la préparation de cette refondation de l'École, on ne saurait négliger l'importance d'une formation rénovée. Une formation initiale travaillant bien plus la professionnalité bien sûr, mais aussi une formation continue prospective pour répondre à l'énorme besoin d'accompagnement des équipes.
Est-ce utopique ? Nous ne partons pas de rien. Dans le cadre du GFEN, nous avons déjà expérimenté de telles formations dans des cadres institutionnels « ordinaires », tant au niveau du primaire (ainsi ces accompagnements d'équipes de cycles sur la ZEP de Cherbourg-Octeville, dans l'Yonne...) que dans le secondaire (formations filées d'équipes de bassin sur Corbeil-Essonnes par exemple). Les inspections témoignent, dans un cas comme dans l'autre, d'évolutions remarquables des résultats des élèves aux évaluations, consécutives à la (re) mobilisation des équipes.
Encore faut-il le courage des commencements. Saura-t-on sortir l'expérience des mouvements pédagogiques de la clandestinité institutionnelle ?
[1] Christian Baudelot, Roger Establet, L'élitisme républicain. L'école française à l'épreuve des comparaisons internationales. La République des Idées / Seuil, 2009.
[2] Marie Duru-Bellat, Les inégalités sociales à l'école. Genèse et mythes. PUF, 2002
[3] Nathalie Mons, Les nouvelles politiques éducatives. La France fait-elle les bons choix ? PUF, nov. 2007.
[4] « C'est en France que les élèves souffrent le plus ! », Interview de Bernard Hugonnier, directeur adjoint de l'Education de l'OCDE dans Le Nouvel Observateur, 7-13 avril 2005.
[5] Anne Armand, Béatrice Gille, La contribution de l'éducation prioritaire à l'égalité des chances des élèves, Rapport IGEN / IGAENR, MEN, octobre 2006.
[6] Baromètre AFEV / Trajectoire-Reflex, 2009 et 2011.
[7] Obstacles épistémologiques dont nous parle Bachelard dans La formation de l'esprit scientifique.
[8] Selon le Baromètre AFEV 2011, 70 % des élèves interrogés n'ont pas d'appétence pour l'école...
[9] Cf. Jean-Pierre Astolfi, La saveur des savoirs. Disciplines et plaisir d'apprendre, ESF, 2008.
[10]Anne Armand, IGEN, « Quels constats pédagogiques en éducation prioritaire ? », Dialogue N°138 « Difficultés scolaires, comment retourner la peau du destin ? » Actes des 3è Rencontres nationales sur l'Accompagnement, GFEN, octobre 2010, p. 7.
[11] Cela peut aller dans un même établissement de 25 % (3è « compétences ») à 72 % (3è bilingue) à Enq. 2011
[12] Gaston Bachelard, La formation de l'esprit scientifique (1938), J. Vrin, 1993.
[13] Cf. Jean-Yves Rochex, « Pratiques de savoirs et culture scolaire : un impensé de la démocratisation ? Pour une conception forte de la question culturelle et de la question sociale à l'École », in François Jacquet-Francillon et Denis Kambouchner (eds), La crise de la culture scolaire, Paris, PUF, 2005.
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