Stage de Sud Éducation Guyane sur les pédagogies alternatives où le GFEN intervient (2017)
![]() | Sud Éducation Guyane organise trois journées de formation syndicale sur le thème : « Pédagogies alternatives du primaire au secondaire : Comment réconcilier théorie et pratiques ? »Mercredi 8, Jeudi 9 et Vendredi 10 février 2017 |
8 février
9 févrierBonjour à toutes et à tous !
Aujourd'hui mercredi 8 février, les choses sérieuses ont commencé : 132 inscrit-es (70 l'an passé, autour du même thème "Pédagogies alternatives du primaire au secondaire : comment concilier théorie et pratiques ?"), un programme fourni et co-construit avec les militant-es de Guyane, des discussions soutenues et importantes pour travailler ensemble à partir de nos différences (Sébastien vient de me dire qu'il préfère diversité ; le débat continue y compris au moment de rédiger ce compte-rendu).
Et quel programme ! Ouverture avec un travail sur des textes facilitant un débat autour du rapport entre le pédagogique et le politique, suivi de près par le texte recréé, la lecture avec questions prélables et un atelier interrogeant la posture de l'enseignant.
Demain jeudi, le rapport au savoir, l'autogestion des personnels seront questionnés, pendant que la démarche des allumettes sera vécue par 25 personnes, ça c'est pour le matin ; l'après-midi, le texte à trous et la relation aux parents mené par Christine, un atelier proposé par notre ami Guillaume Hallier, membre de Sud Education 49 et de l'ICEM-Freinet, sur le "Quoi de neuf" et un "jogging d'écriture", atelier conçu pour construire de l'autonomie dans nos cours, et l'atelier d'écriture sur les binômes imaginatifs mené par Pascal.
Vendredi, reprise des ateliers du jeudi matin pour de nouveaux groupes (pas facile toujours de construire un stage pour plus de 130 personnes, avec seulement 2 animateurs et une animatrice !), mais l'après-midi l'accord des participes passés (Pascal) et "Ces idéologies qui avancent masquées : alors innover ou transformer ?" (Christine) vont clore l'intervention du GFEN en Guyane !
C'est dire si les démarches que nous apportons cette année prolongent de manière éclatante les premières transformations vécues l'an dernier ; d'ailleurs, des stagiaires sont revenu-es cette année pour poursuivre, retravailler, se réinterroger sur les stratégies d'apprentissage partagées alors. Etienne, ce jeune prof de français d'un collège de Cayenne, qui nous avait incité à nous lancer dans le compte-rendu du stage de 2016, est venu avec un questionnement majeur sur la difficulté de se battre seul pour impulser de réelles transformations (au point de risquer le découragement !!) ... et de nous mettre au défi dès le premier jour de ressourcer le mouvement d'un collectif où chacune et chacun puissent trouver place et sens.
Ce programme nous l'avons construit dès notre descente d'avion, le premier soir chez Thomas, avec Sébastien et Guillaume, à l'écoute des attentes des syndicalistes du lieu qui s'interrogent avec force sur comment développer dans les consciences le lien entre pédagogie et politique.
Pendant les trois jours qui ont suivi, les discussions de fond, acharnées, sans concession, avec une écoute respectueuse, n'ont pas manqué, entre la visite de la ville, l'excursion au marais de Kaw et aux îles du Salut, et les repas chez des militants à Kourou : sur l'engagement auprès des classes populaires, sur les différentes formes de discrimination, à l'école et hors l'école, sur le rapport à la langue dans les apprentissages, sur les références historiques et théoriques des uns et des autres, sur le quotidien de nos pratiques.
De tous ces débats entre nous, une visée commune est née pour construire ce stage : "alternatives" dans l'expression "pédagogies alternatives " ne suffit plus à politiser (et donc à transformer notre quotidien) notre rapport à la pédagogie !! Nous nous interrogeons pour la suite : "pédagogies coopératives" (mais pour quoi en faire, et avec qui ?) ....
Christine Passerieux et Pascal Diard (avec l'aimable relecture de Sébastien El Beze, militant Sud Educ de Guyane)
A suivre donc !
10 février : dernière journée et 1er moment de bilanUn deuxième jour comme beaucoup d'autres dans les stages : ça résiste, ça se passionne dans les débats, ça jubile ! Donc nous sommes pris dans des contradictions, normales avec des militant-es qui (se) cherchent sur la voie de l'émancipation, mais avec aussi des enseignant-es qui cherchent des outils, simplement des outils, et d'autres pour qui la question de l'émancipation occupe subitement beaucoup (trop ?) de place.
Et c'est dans cette ambiance studieuse et conflictuelle que nous menons des ateliers qui décoiffent : le rapport au savoir, les allumettes, le vocabulaire et la relation aux parents des familles populaires (et le peuple de Guyane, c'est quelque chose niveau melting pot !), puis l'atelier d'écriture sur les binômes imaginatifs.
Les soirées pendant lesquelles l'équipe d'organisation et de co-animation fait le point sur la journée, sont l'occasion de prolonger les discussions déjà engagées dans les ateliers, mais aussi de concevoir ce qui peut être amélioré, ce qui demande à être approfondi, ce sur quoi il est nécessaire de rebondir.
Ici, par exemple, les initiatives pour essayer de contourner les obstacles institutionnels vont dans tous les sens : Montessori, Alvarez, éducation à la maison, mais aussi tentative de construire une école nouvelle prenant appui sur tout ce qui est émancipateur dans tous les courants dits "alternatifs". Une vraie auberge espagnole !!
D'où notre travail pour recentrer sur les enjeux d'une éducation qui vise, dans le rapport au savoir entre autres, l'émancipation à la fois individuelle, intellectuelle et sociale, avec TOUS les enfants, et en particulier ceux des classes populaires. Quand on écoute les camarades syndicalistes parler de leurs élèves, de leurs conditions de travail, de leurs envies de transformer leurs pratiques, on prend conscience, de notre côté, du boulot déjà entrepris et de leur engagement quotidien, de leur désir de faire réussir tous les élèves, tout en interrogeant la notion même de réussite.
La troisième journée ça promet d'être flambant neuf !
Cette journée est à l'image des deux premières : on se précipite sur l'atelier choisi une fois la présentation faite, on le vit intensément (comme si le temps s'accélérait, comme s'il nous manquait, comme s'il fallait le déguster jusqu'à la dernière goutte !), on en discute après dans les moments informels, au repas du midi ou bien après le rangement de la salle de la mairie de Cayenne, dans un bar en bord de plage, à table le soir avec toute l'équipe d'organisation.
Et puis, en cette fin de stage, on commence à se projeter, à envisager des prolongements possibles, à formuler des envies de transformation envisageables.
Mais que s'est-il donc passé pour qu'une telle dynamique devienne réelle ?
Revenons d'abord à cette 3ème journée : les ateliers du matin, reprenant ceux de la veille, sont attendus différemment - puisque les participant-es d'hier en ont déjà parlé - avec impatience le plus souvent ; ceux de l'après-midi, vu les enjeux (transformation du rapport au savoir à propos du participe passé, moment de conscientisation à propos des idéologies « qui avancent masquées », construire de l'autonomie avec l'atelier de Guillaume), sont tout aussi intenses, et ce malgré la fatigue accumulée !
Mais au-delà de ces 3 jours, quels facteurs à l'œuvre nous permettent de continuer à nous penser « optimistes de la volonté », même quand « le pessimisme de la raison » demeure face aux tendances historiques actuelles ? Quelles contradictions peuvent nous amener à jouer sur de possibles inversions de tendance ? Nous reviennent en écho quelques paroles de stagiaires :
Guillaume est revenu vivre cette année le texte recréé ; entre deux, il n'a pas encore osé se lancer dans « l'aventure ». Or, voilà qu'il insiste avec force pour que l'animateur décrive au plus près les processus facilitant le passage du sentiment personnel d'impuissance au possible réalisé en collectif ! Il est raisonnable de penser qu'il est mûr pour oser enfin la réappropriation créative, non ? D'autant qu'il est tout sourire, le 3ème jour, à l'atelier sur le participe passé ! Sa décision est-elle prise ?
Etienne nous dit, après l'atelier d'écriture, comment il a réutilisé le texte recréé : il l'a mené dans ses classes sur les débuts d'un ouvrage pour le faire lire en entier pendant les vacances scolaires !! D'abord « Le petit prince », puis « Antigone » ; à propos de ce dernier, il nous raconte qu'un de ses élèves qui jusque-là ne lisait ni ne disait rien, lui a demandé au retour de ses vacances qu'il trouvait bizarres les relations entre les deux sœurs, Ismène et Antigone, et qu'il voudrait bien des explications ! Nous nous sommes permis immédiatement de passer commande à Etienne d'un article pour Dialogue !!
Eva n'a jamais lâché l'affaire depuis l'an dernier : elle avait alors un projet d'école alternative dont elle nous avait fait part en juillet dernier ; elle nous avait contactés avant que nous arrivions en Guyane pour savoir à quel moment discuter ensemble des suites compliquées de celui-ci ; autant vous dire que ses attentes étaient « blindées » !! Pendant tout ce stage, elle nous a éclairés de ses analyses fines, de ses commentaires judicieux, de sa tendresse et de son regard bienveillants ; elle a été au taquet dans nos ateliers ; elle s'en est nourrie goulûment ; elle est en demande de nouvelles démarches, de nouveaux contacts, d'une nouvelle rencontre avec le GFEN ! Rien que pour elle, ce stage méritait d'être vécu !
Aurélie, au moment du départ dit : « je vais continuer à utiliser quelques propositions d'Alvarez, mais je ne savais pas tout et je ne vais plus les regarder de la même manière » ! Comment ne pas voir dans cette contradiction le mouvement ?
Ces quelques témoignages parmi d'autres nous disent à quel point nos interventions n'opèrent aucune magie mais enclenchent des mouvements de pensée, des envies de transformations toujours difficiles à opérer au quotidien, à quel point notre présence n'a pas été perçue comme une simple opération de « com » ou une belle vitrine à regarder de loin, mais comme une réelle pratique de co-formation et de conscientisation politique des enjeux pédagogiques. Et de tels processus se construisent sur la durée, sur des moments de rencontre et de mise en réseau social (et le plus souvent la présence humaine est le plus efficace moyen de communication, car le corps et les paroles disent parfois beaucoup de choses que les écrits n'arrivent pas toujours à formuler).
Les rapports entre notre mouvement et les organisations politiques et sociales sont toujours conflictuelles, au sens positif où nous l'entendons. Non seulement cela ne nous empêche pas de développer nos idées et nos pratiques auprès de celles et de ceux qui sont demandeurs, mais contribue à nous enrichir de nouvelles manières de formaliser, à ne pas nous scléroser dans des dogmes ou nous figer dans des dispositifs répétés jusqu'à l'écœurement, à continuer à nous penser concepteurs de notre trajet d'éducateur, d'éducatrice, à comprendre pour mieux inventer l'émancipation sociale qu'il nous faut faire advenir.
En Guyane, pour la deuxième année consécutive, c'est avec encore plus de force que nous avons ressenti l'urgence de tels enjeux, à nos yeux majeurs pour construire de nouveaux rapports sociaux, et essayer ainsi d'en finir avec toute forme de domination, d'exploitation et d'aliénation. L'éducation est toujours une idée neuve !