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    Individualisation des situations d'apprentissage

    Individualisation des situations d'apprentissage

    Christine PASSERIEUX

    2012

    L'école : nouvelle socialisation  par des apprentissages collectifs

    Les enfants qui entrent à l'école maternelle se trouvent confrontés à une nouvelle organisation sociale des individus, où le groupe n'a plus ni le même rôle, ni le même fonctionnement que dans le cercle familial. Le collectif ici ne se constitue pas sur des bases affectives mais sur un projet d'apprentissage défini hors l'histoire individuelle de chacun. Les enfants rencontrent de nouvelles pratiques sociales très spécifiques, revêtant un caractère d'étrangeté pour nombre d'entre eux, particulièrement ceux qui sont issus des couches populaires et ne sont pas d'emblée en connivence culturelle avec l'école[1].  Ces pratiques sociales, visent dans un rapport dialectique à :

    -   la construction de l'enfant qui, si elle se fait dans des interactions étroites avec ses milieux[2], l'engage dans une nouvelle socialisation où il doit se déprendre de ses repères familiers et mettre en place de nouvelles relations interpersonnelles sur de nouveaux objets

    -   la construction de savoirs qui sont différents voire étrangers au déjà connu et inscrivent chaque élève dans un rapport anthropologique à son univers

    -   la compréhension de ce qu'est l'école, le sens des activités qui y sont menées et la spécificité des modes d'apprendre qu'elle propose : ce sont les modalités de rencontre avec les objets de savoir, avec les autres qui permettront ou non la mise à distance du milieu d'origine et l'émancipation symbolique nécessaire au développement de chacun.

    Ces pratiques se définissent par leur dimension collective : un enfant devient un élève, en relation avec d'autres ; l'enseignant est là pour tous ; les objets d'apprentissage appartiennent à un patrimoine commun et doivent devenir des objets de savoir communs ; l'apprentissage s'il est celui d'individus singuliers se fait dans et par le groupe. La constitution du collectif scolaire « impose à ses membres des obligations définies » et «donne de nouvelles formes et des buts particuliers à leur activité » à la condition que les finalités et les règles de fonctionnement du collectif fassent l'objet d'un travail dans les classes.

    Mais en fonction de la conception dominante des rapports entre l'individu et le collectif, ces pratiques revêtent des formes différentes qui ont des incidences sur les modalités de l'apprentissage, sur les contenus d'enseignement, les modes d'apprendre et d'enseigner.  

    Une évolution des modes d'apprentissage pour de nouvelles finalités

    Dans les salles d'asile du XIXème siècle, fréquentées par les enfants des couches laborieuses, les activités proposées sont collectives, destinées à faire mémoriser des connaissances simples. L'éducation relève d' « une entreprise de dressage collectif ». Son « objectif de subordination, de moralisation et d'évangélisation du peuple est affirmé ».[3]  

    1 Promotion des individus

    Dès 1887, Pauline Kergomard rompt avec les pratiques collectives des salles d'asile. Elle promeut « la méthode française » qui favorise l'activité personnelle en s'adaptant aux individualités. Pour elle, le processus de socialisation se construit dans les interactions entre enfants, qui apprennent ainsi à vivre en société. Elle veut que les enfants « travaillent ensemble, jouissent d'une liberté toute fraternelle ». Elle préconise la prise en compte des enfants à travers une approche scientifique, qui repose sur une connaissance de la psychologie enfantine. Les pratiques d'enseignement alternent les exposés magistraux et généraux et des propositions de manipulation (lettres mobiles en lecture), d'observation d'objets réels (plantes, animaux). « L'enfant est sollicité en tant que personne capable de réfléchir, d'observer, de comparer, de poser des questions [4]». Le dialogue pédagogique prend de nouvelles formes et témoigne de l'importance accordée à l'activité individuelle, à l'apprentissage personnel. Les élèves sont désormais répartis en sections en fonction de leur âge. Du matériel individuel, comme les bûchettes, les cubes ou des jouets est mis à disposition.  

    2.  De l'expression de l'enfant...

     Les textes du 2 août 1977 entérinent l'évolution de l'école maternelle sur les cinquante dernières années, sous l'influence des nouvelles avancées de la psychologie de l'enfant. Cette période est aussi celle d'un changement social dans le recrutement des élèves. Désormais les couches moyennes et supérieures de la population scolarisent les jeunes enfants à l'école maternelle. Sous cette double influence, primauté est accordée à l'individu qui occupe une place centrale et dont il faut favoriser l'expression, la créativité, la spontanéité. Les nouveaux textes insistent sur l'importance de l'affectivité définie comme « véritable moteur du développement », alors que le développement cognitif n'apparaît qu'en dernière position dans la définition des objectifs assignés à l'école maternelle. L'importance des activités corporelles et artistiques est largement développée. Les élèves doivent « se montrer curieux, inventifs, autonomes » dans des activités libres qui se multiplient pour permettre aux élèves de découvrir, expérimenter, faire. Ce qui fédère la classe c'est le thème de vie, traité de manière ludique dans une organisation en ateliers. Cette pédagogie, qualifiée d'invisible par Bernstein, réfère aux habitus des familles socio-culturellement favorisées. En effet ces familles très imprégnées des nouvelles données de la psychologie, accordent une place importante au jeu dans l'éducation de leurs enfants et se reconnaissent dans les activités proposées à l'école car elles savent repérer les apprentissages sous-jacents, les objets de savoir visés même s'ils ne sont pas explicitement nommés. Leurs enfants se retrouvent aussi dans des pratiques qui font écho à celles qu'ils vivent à la maison, en connivence culturelle avec l'école. En revanche, dans les milieux populaires, la socialisation scolaire passe par un enseignement de type transmissif, qui dissocie le jeu, gratuit, sans finalité particulière en matière d'apprentissage et le travail, qui exige écoute, discipline, effort.  Les élèves issus de ces milieux, s'ils apprennent à compter en jouant aux petits chevaux le font empiriquement, et le réinvestissement de ce qu'ils ont appris s'avère aléatoire car ils ne peuvent l'identifier. Ils se retrouvent alors dans un rapport d'étrangeté à l'école car ils ne peuvent reconnaître (dans les deux sens du terme) ce qu'ils y font tant qu'ils ne disposent pas d'outils conceptuels pour le faire : ils ont des difficultés à reconnaître du scolaire dans ce qui pour eux s'apparente à du jeu, à identifier les objets apprentissages et à en cerner les modes d'appropriation. C'est de ce rapport d'étrangeté que naissent de nombreux malentendus qui à terme produisent un effet de discrimination entre les élèves en fonction de leur origine sociale. Ces conceptions renvoient par ailleurs, comme le souligne Agnès Florin[5] à des conceptions innéistes, où il s'agit de donner à chaque élève un maximum de liberté pour favoriser l'émergence de sa personnalité, personnalité déjà construite et qu'il faudrait éveiller. Or l'on sait que c'est dans l'activité que se développent l'imaginaire, la pensée, le langage.  

    3. ...à son activité

    La circulaire du 30 janvier 1986 opère un recentrage sur les apprentissages scolaires et assigne à l'école maternelle un rôle fondamental dans « la réussite scolaire ultérieure ». L'école maternelle doit « scolariser, socialiser, apprendre et exercer ». L'expression de l'enfant, au centre des précédentes instructions laisse place à l'activité de l'élève, activité garante de l'acquisition de connaissances. Cette notion d'activité porte des ambiguïtés (activités proposées par le maître comme autant d'actions à mener, ou activité de l'élève en tant qu'investissement intellectuel dans la tâche ?) qui seront levées dans les textes les plus récents. Le rôle des échanges entre enfants, des discussions provoquées par l'enseignant est réaffirmé dans les instructions de 1995 qui insistent sur la place déterminante des interactions sociales dans la classe, telles que la confrontation, la coopération, l'entraînement aux débats. C'est une orientation nouvelle qui affirme que l'activité  ne peut se réduire au « faire », à la manipulation, à la spontanéité de l'élève. Le maître doit organiser des échanges entre élèves sur les procédures à l'œuvre dans la classe pour mener à bien une tâche : « Les réponses sont d'abord recherchées de manière individuelle, en laissant du temps pour explorer, ressentir, trouver de nouvelles façons de faire, imiter un autre enfant (l'imitation est à cet âge une façon d'entrer en communication). Peu à peu des interactions entre enfants se mettent en place, permettant à chacun de trouver sa place à l'intérieur d'un groupe et commencer à participer à une action commune »[6]. On retrouve pour ce qui concerne le langage, l'insistance mise sur les interrelations entre enfants, entre enfants et enseignant qui doivent les entraîner « dans de véritables discussions » à « communiquer des connaissances abstraites, s'expliquer et argumenter ». La socialisation est associée aux apprentissages : l'élève « entre progressivement dans un usage plus fortement socialisé de son langage »( p 102). La fréquentation des albums de jeunesse engage à des confrontations sur l'interprétation des textes. L'affirmation du rôle du collectif dans la construction intellectuelle de chaque élève est posée de manière forte. L'enseignant doit faire découvrir à chaque élève une nouvelle vie sociale, collective.  « L'école maternelle transmet concrètement au travers de situations vécues et commentées quelques règles, valeurs et principes de la vie en société »(p 101). En même temps et de manière contradictoire, les programmes de 2002, comme les précédents, mettent en scène « un enfant » appréhendé dans sa singularité (« chaque enfant »). Une seule référence est faite à l'enfance, le terme d'élève n'est employé qu'une fois dans le résumé des programmes de l'école primaire[7]. En posant l'enfant au centre des apprentissages, en affirmant « l'égalité des chances »[8], en réaffirmant que l'objectif de l'école est le développement des aptitudes et des talents de chacun[9], ces textes posent le primat de l'individuel devant le générique, privilégient l'individu plutôt que le collectif.  

    Des formes d'organisation implicites


    Les formes organisationnelles d'apprentissage à l'école maternelle sont semblables d'une classe à l'autre. Les regroupements et les ateliers, organisés sur des temps ritualisés et dans des espaces spécifiques, semblent répondre aux modes collectifs d'apprentissage promus par les instructions officielles autant qu'à l'une des missions centrales qui est assignée à l'école maternelle, l'apprentissage du « vivre ensemble ». La question reste posée de l'adéquation entre les intentions et la lisibilité par les élèves des formes de travail scolaire retenues.

    Le regroupement de tous les élèves sur des bancs ou sur un tapis, face au tableau et à l'enseignant, concerne généralement les rituels, l'annonce des activités du jour, la collation, le temps de chant ou de récitation de comptines, la régulation de la vie collective ou les moments dits de langage (observation d'images, questions après lecture d'un album...). Ce qui fait explicitement collectif pour les élèves, c'est l'organisation spatiale avec en particulier la place réservée à l'enseignant face aux élèves.

    Les relations dans le groupe demeurent massivement des relations duelles enseignant, élève. L'enseignant s'adresse successivement à plusieurs élèves, nominativement désignés, qui lui répondent. Ces adresses prennent des formes différentes :

    - Les interventions de l'enseignant se font sous forme de questions qui appellent une réponse « alors quand on arrive dans la classe, qu'est-ce qu'on dit ? ». Une phrase peut être commencée par l'enseignant qui attend un mot : « le lundi nous sommes à l'école, le mardi à ... ? ». La validation relève de l'enseignant, les élèves disposant rarement d'outils collectifs qui leur permettent de la faire :
    M : « comment ça s'appelle quand on fait comme ça ? (l'enseignante froisse un morceau de papier) 
    E « une boule »
    M : « oui, ça s'appelle une boule. On a ... »

    E : « froissé »
    M : « on a froissé ». Une élève répète « boule ».
    M : « et après qu'est-ce qu'on a fait ? » 
    E : « on a mis de la colle » 
    M : « on a mis de la colle et on l'a ? » 
    Trois élèves « collé ». 

    - La réponse à l'intervention d'un élève prend la forme d'une validation du discours ou plus exactement de la forme du discours. L'enseignant répète à l'identique ou en corrigeant. Les interrelations entre pairs sont alors rares.

    - Les interventions déviantes, ou apparemment déviantes ne sont pas retenues, sans que les raisons en soient explicitées par l'adulte ou sans que le groupe soit interpellé.
    M : « qu'est-ce qu'il y a d'écrit sur le petit pantalon ? » 
    E : « rose » 
    M : « qu'est-ce qu'il y a d'écrit ? ».
    M : « Mardi »
     

    - L'intervention se fait sous forme de monstration ou de présentation d'un modèle, réalisé par l'enseignant ou par un élève qui produit, particulièrement en EPS, le geste ou la réponse attendus. La présence des autres élèves n'a pas d'incidences sur ce qui se dit ou se construit. La dimension collective est alors celle de l'imitation.
    Lors d'un regroupement en grande section, l'enseignante présente une fiche de travail au tableau :
    M : Tien, A, tu vas nous montrer comment on relie.
    A montre
    M : Très bien. Assieds-toi, A, sinon les autres ne voient pas.
    M : qui est-ce qui a bien compris la fiche de travail ?
    Seuls deux élèves ne lèvent pas la main. La maîtresse leur demande de venir près d'elle au tableau et reprend les explications.

    - L'adresse collective est de type disciplinaire : une comptine intervient au cours d'une séance pour capter l'attention des élèves. Si elle est reprise collectivement (ce n'est pas toujours le cas), elle recentre individuellement les élèves sur l'enseignant plutôt que sur l'objet de travail. L'apparente même activité, dire ensemble une comptine, n'a pas les mêmes fonctions : l'une relève de l'apprentissage de textes du patrimoine, l'autre du rappel à l'ordre.

    - Les interventions de type disciplinaires s'adressent et aux élèves nominativement et à l'ensemble du groupe. Elles occupent une grande place dans les moments de regroupement et leur fréquence brouille la perception ou la compréhension de ce qui ressort de l'activité en même temps que de la fonction du regroupement.

    - Le regroupement produit des effets d'entraînement, sans réflexion ni confrontation lorsque les réponses ne sont pas interrogées pour être validées, et laissent à penser que ce qui convient c'est d'être tous du même avis :
    M : « vous êtes d'accord avec Julie »
    E (toute la classe) : « oui »

    - L'adresse collective a une fonction économique pour l'enseignant mais elle ne produit pas de réflexion collective : ni mémorisation des règles de fonctionnement, ni reconstruction des consignes. M : « Alors, vous vous rappelez, la dernière fois, quand on avait installé dans la grande salle de gymnastique tout le matériel...je vous avais demandé de commencer par l'atelier 1, on passe l'atelier 1, quand on a fini l'atelier n°1, on vient sur le 2ème. Quand on a fini le deuxième atelier, on vient sur le troisième. Quand on a fini le troisième atelier, on vient sur le quatrième et quand on a fini la quatrième on vient sur le cinquième. Quand on a fini le cinquième qu'est-ce qu'on fait ? » E : « on revient ici. On va là ».

    La mobilisation des élèves dans le collectif est peu soutenue et concerne souvent les mêmes élèves. Les questions posées au groupe ne posent que rarement problème, ce qui limite la nécessité d'élaborer des réponses à plusieurs. L'enseignant valide, répond, ne laissant que peu de place à des interactions entre élèves. Le groupe est plus une juxtaposition d'individus, avec peu d'interférences entre eux du point de vue de l'activité scolaire, qu'un collectif de confrontation, d'élaboration.

     

    Les petits groupes, ou ateliers, sont constitués en fonction des tâches à accomplir (ateliers collage, graphisme, découpage, modelage...) et des possibilités offertes par la configuration de la classe. Leur nombre, généralement quatre, est plutôt déterminé par le nombre de tables ou de « coins », tel que le « coin peinture », où peuvent  s'installer les élèves. Le nombre d'élèves présents à un atelier dépend du nombre de places offertes à telle table ou tel « coin », ou correspond à une division du nombre total d'élèves par le nombre d'ateliers. On retrouve les mêmes logiques de fonctionnement dans les ateliers que dans les regroupements de toute la classe, avec quelques spécificités :  

    - La même forme organisationnelle renvoie à des modalités de travail scolaire différentes, d'une classe à l'autre, mais aussi dans la même classe. Ainsi dans l'atelier dirigé, les élèves peuvent résoudre collectivement un problème posé (situations peu rencontrées) ou mener individuellement une activité contrôlée par l'enseignant. Les exercices individuels peuvent être proposés avec des interventions du maître en direction de tout le groupe, en direction d'individus au fur et à mesure de l'avancée de la tâche à accomplir. L'enseignant peut organiser des mises en relation de différentes productions, interpeller les élèves sur les différences ou les récurrences dans les réponses individuelles.  

    - Il est difficile de mesurer la différence entre des ateliers annoncés en autonomie (« vous ne devez pas me déranger » ou « vous devez travailler seuls ») et l'atelier dit dirigé. Dans l'un et les autres les élèves attendent le signal de l'enseignant pour commencer, et sa validation pour considérer que la tâche est achevée. Confrontés à de l'activité individuelle, ils restent seuls face à la tâche à accomplir sans oser se lancer ou alors se déplacent pour obtenir l'aval de l'enseignant.

    - Les activités sont généralement des activités individuelles de réalisation de fiches photocopiées qui concernent les mathématiques, le graphisme, la lecture (identification de mots, images séquentielles...), la graphie (prénoms, chiffres...).
    L'activité sur fiche apparaît dès la petite section sans que ne soit préalablement construit pour les élèves un apprentissage sur la spécificité de l'écrit, son rôle, sa fonction. La plupart d'entre eux ne se repèrent pas sur l'espace feuille, l'outil scripteur est encore utilisé de manière malhabile. La non-maîtrise motrice rend impossible une réelle évaluation des productions car les intentions de l'élève ne sont pas toujours lisibles, d'autant moins que lui-même n'est pas en mesure d'identifier celles du maître.
    Ces fiches ont souvent un statut ambiguë : elles peuvent tenir lieu de séance de découverte, c'est-à-dire être une première étape, de séance d'entraînement, ou être en elles-mêmes le tout d'une activité. Elles sont de manière récurrente des moyens d'évaluation pour l'enseignant, alors qu'elles ne permettent pas à l'élève de se situer, y compris dans ce qui constitue la fin de la tâche.
    Elles renvoient les élèves à la solitude de l'exécution et sont donc généralement en deçà de leurs réelles possibilités : elles doivent en effet être réalisées avec le minimum d'interventions de l'adulte. On constate là encore une baisse des exigences pour des raisons d'organisation pratique et de disponibilité de l'enseignant à d'autres ateliers.

    Dans l'organisation en ateliers, l'enseignant reste le seul référent. Agnès Florin a relevé[10] que c'est dans ce type de dispositifs que les prises de parole de l'enseignant sont le plus nombreuses. Notre observation des classes montre également que, accaparé par le contrôle du groupe, les tâches à distribuer, l'enseignant ne peut accorder de temps à la réflexion collective des élèves, les phases d'élaboration communes. Définie souvent par les enseignants comme plus pratique sur le plan organisationnelle elle se révèle coûteuse en temps et en énergie,  peu propice à la mise en place d'activités réellement collectives.

     

    Des risques de malentendus

    Les formes communes d'organisation des classes maternelle recouvrent des réalités sensiblement différentes, selon que l'organisation retenue est mise, explicitement ou non, au service d'un projet d'apprentissage.
    Lorsque l'objet du rassemblement est clairement énoncé en amont de l'activité, réaffirmé au long de cette activité, (thème mais aussi mode de travail entre élèves), l'attention est plus soutenue sur l'objet commun, avec moins de digressions sur des préoccupations personnelles. Les élèves échangent, construisent ensemble.
    En revanche, et ils sont majoritairement dans cette situation, lorsque les élèves n'ont pas les éléments nécessaires à la compréhension de la forme de travail attendu, la situation seule ne leur permet pas de trouver une place, de se sentir concernés individuellement dans une organisation collective. Ces élèves ne comprennent pas le rôle du groupe et donc des pairs : ils ne s'adressent pas à eux, ou alors de manière très ponctuelle, ne répondent pas à ce que d'autres disent. Ils gardent une représentation de la socialisation où l'adulte est seul référent, et ne construisent pas la spécificité de la socialisation scolaire. La seule proximité spatiale ne construit pas en elle-même une compréhension de formes nouvelles d'apprentissage. les élèves restent dans une posture individuelle, sans pouvoir penser cette individualité comme singularité dans un groupe. La relation à l'adulte ne peut être que duelle, ce qui produit des sentiments d'injustice, voire de rejet et de l'activité et du maître, si celui-ci ne répond pas immédiatement à l'attente. Les pairs sont alors perçus comme obstacle à une relation privilégiée, unique.

    Les incidences cognitives sont également fortes. Enfermés dans leurs réponses individuelles, les élèves ne sont pas confrontés à une autre approche que la leur, dont ils ne peuvent seuls se défaire. Ils se trouvent alors assignés à demeurer là où ils en sont de la compréhension des questions qui leur sont posées ou bien à admettre les réponses de l'adulte sans que le groupe ne joue son rôle fondateur de mise en questionnement des représentations ou des conceptions de chacun. Privés d'un conflit cognitif avec leurs pairs, ils ne s'entraînent pas à changer de point de vue, confronter différentes réponses pour en élaborer une. Ils ont ou n'ont pas « la » réponse, n'imaginent pas la construire par étapes ou par ruptures, se taisent s'ils n'ont pas de réponse personnelle ou craignent de se tromper. Certains, ceux qui sont le plus éloignés de la forme scolaire de socialisation décrochent de l'activité.

     

    Enrôlement individuel, enrôlement collectif

    Selon les finalités attribuées par l'enseignant à l'organisation en groupe, les élèves s'installent dans des postures comportementales et cognitives différentes. On observe deux grands types de fonctionnement de l'enseignant qui produisent deux grands types de réaction des élèves.

     

    Le groupe comme somme d'individus

    Lorsque l'enseignant s'inscrit dans une logique de transmission, il montre au groupe ce qu'il attend, fait faire une démonstration par un élève, ou encore donne une ou plusieurs consignes à la classe. Généralement il répète ou fait répéter. Dans cette situation, l'enseignant s'adresse à tous les enfants du groupe, mais pas au groupe en tant que tel. Le groupe classe est appréhendée comme la somme de tous les élèves. La consigne alors n'est collective que dans sa forme apparente. Les interrelations entre les élèves, si elles sont attendues ne le sont pas de manière explicite. Bien que répétée par un ou des élèves la consigne ne fait pas l'objet d'une re-élaboration collective. Le collectif n'est pas constitué. Les élèves ne peuvent avoir qu'une interprétation individuelle de la consigne, des explications de l'enseignant. Dans cette situation ils prennent très peu en compte leurs pairs et concentrent leur attention sur les réactions de l'enseignant sans l'aval duquel ils ne commencent pas l'activité. Certains même interrompent la tâche lorsque l'attention de l'enseignant est mobilisée par un autre élève. C'est le mode de faire dominant lorsque les élèves doivent compléter une fiche de travail, mais aussi résoudre un problème sans mise en travail du groupe sur ce qui est demandé et les procédures de réalisation.

    Cette situation renforce la dépendance des élèves à l'égard de l'enseignant, dépendance dont Jacques Bernardin[11] a fait émerger la grande prégnance chez les « passifs récepteurs », c'est-à-dire les élèves en difficulté, qui ne se sentent pas investis dans la réalisation d'une activité. Ce sont ces élèves qui n'ont pas compris les spécificités de l'apprentissage scolaire et ses modalités. Ils ne se mobilisent que lorsqu'ils sont individuellement sollicités par l'enseignant. Ils s'agitent avec d'autres, se disputent, se dispersent. Livrés à leur propres ressources, sans possibilités de les mettre en confrontation avec d'autres, ils se retrouvent en position d'attendre l'intervention de l'enseignant pour valider ou invalider leur première production. Cette posture d unicode2utf8(0x2018)élève qui allie individualisation et dépendance à l'adulte est renforcée en même temps que construite par une non-connaissance des critères de réussite de l'activité. C'est l'enseignant qui dit si « c'est bien » et c'est la question que les élèves posent après qu'ils aient demandé, ne pouvant le mesurer seuls, s'ils ont « fini ».  Ainsi, en grande section, une élève dit à une autre : « T'as pas fini ton travail. La maîtresse elle va dire que t'as pas fini », après que la maîtresse soit intervenue auprès d'autres élèves pour leur demander de finir.

     

    Le groupe comme collectif de réflexion

    • Le groupe se construit ...

     Dans une classe de MS cinq élèves ont réalisé des colliers avec des perles. V et M ont réalisé un collier rouge, C et F un collier vert et A un collier bleu. L'enseignante donne au petit groupe une nouvelle consigne : chacun doit dessiner exactement le collier qu'il a réalisé. Tous s'accordent sur l'importance de la couleur et comparent leurs productions sans tenir compte ni de la forme des perles ni de leur nombre et donc de la taille de chaque collier. Lors des phases individuelles de travail l'enseignante se rend auprès des autres groupes et revient pour donner de nouvelles consignes. Elle pose un problème au groupe :

    M : je reprends les colliers, je les mets dans mon dos, je les mélange, je les repose et vous allez me dire comment retrouver le collier que vous avez dessiné. Pour Allan ça va être facile, pour les autres
    Les enfants se précipitent sur les colliers, chacun en prend un
    M : est-ce bien le même collier que vous avez dessiné
    E : oui
    M : Comment vous savez que c'est le vôtre ?
    E1 : parce qu'on l'a reconnu

    M : Comment tu as fait pour le reconnaître ?

    E2 : Parc'que c'est la même couleur

    M : Ah oui ! on prend la même couleur... Moi je suis pas sûre que vous avez repris le même collier que j'vous avais donné tout à l'heure
    Le silence s'installe
    M : Vincent, t'as le même toi ? Comment tu sais qu'ça c'est ton collier et celui-ci celui de Marion, c'est p't'être le contraire
    E3 : c'ui-là l'est un peu plus grand

    M : tu penses que le tien il était un p'tit peu plus grand que le sien...Qu'est-ce qui était plus grand ? Qu'est-ce qui peut t'aider à dire ça que c'était un un p'tit peu plus grand ? Comment tu peux savoir ? Comment ? Et toi tu es sûre que tu as le bon collier ?
    E3 : oui

    M : oui c'est bien celui-là. Et toi Marion Parce que moi je reconnais pas tellement le collier que tu as fait avec des feutres sur la feuille
    E4 : non c'est son collier, c'est son collier

    E5 : j' l'avais vu avec ses p'tits ronds

    Les élèves se répondent et l'enseignant intervient lorsque tous les élèves sont dans l'impasse en apportant la nécessité du comptage des perles. Les élèves procèdent à des comptages comparés. L'enseignante prend appui sur les réponses individuelles, y compris celles qui ne prennent pas en compte les autres élèves (chacun se précipite sur un collier) pour renvoyer des questions au groupe, mettre en comparaison les diverses productions, solliciter chacun en mettant en relation sa production et celle des autres. Elle opère par va et vient entre chaque élève et le groupe.

     

    • ... dans un processus

    Dans cette situation les élèves sont mobilisés sur la tâche à accomplir en même temps qu'ils mènent une activité intellectuelle d'élucidation des caractéristiques de leurs différents colliers : la situation proposée contraint à échanger puisqu'il est nécessaire de comparer en même temps qu'elle engage fortement chacun (il faut retrouver « son » collier) et permet de lever les blocages individuels (personne n'est seul face à la tâche). Le problème posé l'est au groupe et reste posé au groupe tout au long de sa résolution. Les élèves coopèrent, s'imitent, confrontent leurs productions parce que la situation l'exige. Ils sont plus fortement mobilisés sur l'activité cognitive par le biais des relations intersubjectives, car ils doivent affiner leurs pensées, réagir à des propositions autres, argumenter.

    Jacques Bernardin[12] assigne une double fonction au groupe « à la fois limite (frein à la toute puissance de l'individu, il oblige chacun à argumenter ses choix...à justifier ses hypothèses) et aide, point d'appui (à la fois pour éclaircir, intégrer, interpréter les consignes, pour dépasser les obstacles et résoudre le problème) ». L'école est le lieu même du conflit socio-cognitif où les élèves vont pouvoir s'émanciper de leur milieu d'origine par la rencontre de modes de faire et de pensée différents de ceux qui leur sont familiers, en même temps qu'elle leur permet un double mouvement d'appartenance au groupe et d'individuation. C'est dans cette perspective qu' Henri Wallon accorde à l'école une fonction sociale et une fonction psychologique dans la formation des sujets.

     

    Difficultés de repérage de l'activité scolaire

    La polysémie de la notion d'activité produit de nombreux malentendus, particulièrement lorsqu'elle est assimilée à la tâche. Ainsi lors d'activités géométriques en grande section, alors que la tâche consiste à colorier des formes et que l'activité est la capacité à les différencier, les identifier, cette tâche, signifiée par une consigne qui permet de mener l'activité à son terme, ne fera sens, ne sera pas stricte injonction, que si les élèves connaissent l'activité qui la justifie pour se projeter, convoquer les savoirs déjà construits, envisager des stratégies.

     

    Brouillage des attendus

    Si l'on reprend l'exemple précédent, la plupart des élèves font du coloriage alors que l'enseignant a proposé une activité mathématique. Ils sont donc centrés sur la tenue de  leur crayon, la nécessité de ne pas « dépasser », le choix des couleurs. Ils restent dans une perception globale des formes, du déjà-là,  sans être en capacité de nommer ce qui différencie un triangle d'un rectangle. L'activité que mènent les élèves n'est pas l'activité pensée par l'enseignant. Dans la plupart des classes observées, lorsque l'enseignant pose une question à l'ensemble des élèves, il valide la première réponse correcte d'un élève sans en appeler au grand groupe. En l'absence de réponses, l'enseignant répète ce qu'il a précédemment énoncé, soit à l'identique soit par une simplification de sa demande, simplification qui touche aussi bien le fond que la forme. Les adresses de l'enseignant aux élèves ne facilitent pas la construction de l'appartenance à un collectif car celui-ci est peu identifiable. Les échanges concernent l'enseignant et un élève ou l'enseignant et quelques élèves. Ils produisent des interventions brèves, peu construites où fonctionne fortement l'implicite (l'enseignant « traduit »). Les élèves qui décrochent attirent l'attention de l'adulte pour des remarques à caractère disciplinaire, individuelle. Dans cette situation, l'enseignant multiplie les questions plutôt que de mettre l'ensemble du groupe en questionnement sur un problème dont la résolution se fera au pas à pas de l'avancée collective, étayée par l'adulte. Face au groupe, les interventions de l'enseignant peuvent concerner des objets divers qui se succèdent, se superposent : adresse au groupe puis adresse individuelle, intervention en direction du groupe et intervention individuelle (sans que soit nommé l'interlocuteur),  régulation du groupe et apports de connaissance ou questions sur les contenus. Pour les plus jeunes enfants, en particulier en petite section, ces modes d'intervention ne permettent pas de se situer dans le groupe, comme sujet singulier en même temps que membre du groupe. Elles ne permettent pas non plus de différencier ce qui relève du comportemental et du cognitif. La dispersion des interventions de l'enseignant produit un effet de brouillage, de non lisibilité pour les élèves des attendus de l'enseignant car il est parfois malaisé d'identifier le ou les destinataires des messages, ce à quoi ils réfèrent. On observe alors des décrochages, une augmentation de l'agitation.

     

    Centration sur l'activité

    Lorsque l'enseignant s'adresse explicitement au groupe pour lui poser un problème, les élèves essaient de résoudre, seuls ou avec un autre, élaborent ensemble par comparaison de leurs productions, échangent, évaluent ensemble leurs réussites. Dans ces situations l'enseignant joue un rôle important d'étayage : il reformule lorsque la formulation première est hésitante, approximative ; il fait préciser les intentions de l'intervenant ; il en réfère au groupe pour valider ou invalider les propositions d'un élève. Dans ce type d'organisation, le collectif est le temps aussi de la formalisation des procédures de réalisation d'une tâche donnée. L'interpellation vise plus à une activité au sens intellectuel qu'à de la tâche. Les élèves apprennent alors à s'inscrire dans le collectif, s'adressent à leurs pairs : leurs prises de parole sont plus longues, plus fréquentes, se répondent.

    Lors d'un regroupement des élèves de petite section racontent à leur classe ce qu'ils ont fait avec une autre enseignant : M : j'aimerais que les grands  racontent ce qu'il sont fait avec Colette E1 : on a parlé des animaux, de Pipo le petit chien et de Tâche la petite vache et de tous les animaux. Et après on a regardé encore le livre sans que Colette elle nous l'a lu. E : brouhaha M : Chut, chacun son tour, sinon, nous on ne comprend pas. L, il a demandé la parole, on l'écoute L : eh ben, on a dessiné les animaux que Colette a dit M : vous avez dessiné les animaux que Colette vous a dit L : ouais E1 : et moi j'ai dessiné l'ourson poilu L : moi j'ai dessiné Mandarine M : alors on voudrait savoir pourquoi vous avez dessiné des animaux E1 : pacque dans le groupe y avait trois animaux, Mistigri le petit chat, Mandarine la petite souris E2 : non, Valentin E1 : le petit chien E3 : et l'ours E1 : j'ai parlé du chat M : ben oui, c'est vrai E1 : et l'ours je le connais plus

     

    Les effets d'une individualisation des apprentissages

    Réduction des situations d'apprentissage

    La systématisation de l'individualisation entraîne une mobilisation de l'enseignant sur l'exécution des tâches et de l'élève sur la réalisation de ces tâches. Cela est particulièrement visible dans certaines organisations en ateliers où l'enseignant se déplace de manière très fréquente d'un groupe à l'autre, intervient individuellement auprès des élèves. Ses interventions sont centrées sur les aspects disciplinaires, visent à ramener les élèves sur les tâches, à encadrer en même temps des tâches très diverses. L'enseignant n'est plus en mesure de poser un problème au groupe, d'en accompagner la résolution, de relancer.

    Séance de math en PS-MS :
    M : tu colles une gommette ? Là. (montre du doigt)... Bertrand, On se met au travail...Je vous aide pas aujourd'hui.......Il faut que tu colles là le même nombre de gommettes que le chiffre qui est écrit ici. Pour t'aider tu comptes le nombre de petits points que Martine (la maîtresse) a dessinés...alors...là...il y a...
    E : un
    M : un...là il y a ...
    E : deux
    Plusieurs élèves : trois, cinq, quatre
    M : quatre... heureusement qu'elle est là Fatoumata, hein y'a des moyens qui se trompent et des petits qui les corrigent...très bien donc, là (en montrant du doigt), une gommette, deux gommettes, trois gomettes...
    E : quatre gomettes, cinq gomettes
    M : d'accord et ensuite comme la dernière fois vous l'avez demandé on réécrit dans la dernière colonne comme Martine elle a écrit dans la première (montre du doigt). Tu fais attention Bertrand, le 2 faut le mettre à l'endroit, d'accord l'autre jour tu me l'as mis à l'envers...


    Les élèves attendent pour commencer. Certains s'arrêtent dès que l'enseignant s'occupe d'un autre. L'intervention individuelle favorise la répétition de la consigne, un morcellement de la tâche par succession de micro consignes centrées sur le faire.

    Lors de la même séance, la maîtresse s'adresse à un élève :
    M : combien il y a de petits points ici (elle accompagne d'un geste ses propos)
    E : 2 Elle montre avec son pouce
    M : et combien tu as collé de gommettes
    E montre 1 avec son pouce
    M : il en manque une alors deux ptits points il faut coller deux gommettes...Elle s'adresse à un autre : Pourquoi tu prends pas celui du dessus, tu t'embêteras moins, regarde. Si tu cherches à décoller çui-là tu t'embêteras moins qu'à aller chercher celui qui est au milieu. Elle revient à l'élève précédente : là t'en as oublié, t'arrives pas à les décoller attends je vais t'en donner d'autres...celles-là...alors là un p'tit point, une gommette c'est bon, c'est juste, un deux, un deux ça marche, après...Elle montre les points
    E : 3
    M ; et là il y a combien de gommettes, 1, 2 ?
    E : 2
    M : il en manque une , regarde, là, 1,2,3 p'tits points, tu n'as mis que 2 gommettes donc il te manque une gommette...

    En exécutant au pas à pas de la demande de l'enseignant les élèves perdent la vision globale de leur activité ce qui en rend difficile la compréhension car le but s'éloigne en même temps que les procédures pour l'atteindre ne sont pas automatisées. L'attention est focalisée sur l'adulte et la réponse à donner aux différentes questions qui se succèdent, qu'elles concernent la tâche (coller la gommette) ou l'activité (mener une correspondance terme à terme).L'attentisme est important, les initiatives individuelles réduites, les interactions entre élèves très rares. L'avancée dans la réalisation de l'exercice ne montre pas une autonomisation. L'accumulation de tâches individuelles empêche l'activité cognitive. Livrés à un travail solitaire, les élèves se centrent sur la production finale (dont on vient de voir que sa représentation peut échapper) et non sur les procédures de réalisation. Les élèves ne peuvent réaliser la tâche que lorsqu'ils connaissent déjà les procédures, ils sont donc régulièrement confrontés à des exercices qu'ils savent faire, qui ne leur posent pas réellement de problèmes nouveaux (ceci est particulièrement vrai dans les ateliers dits autonomes). Mais l'exercice nécessaire à l'automatisation, ne fait pas l'objet d'un apprentissage car chacun est confronté à sa tâche sans mise en partage de la pertinence des procédures, de leur économie...Par ailleurs, la confrontation à une trop grande difficulté individuelle, provoque souvent la démobilisation lorsque les pairs ne jouent pas un rôle de relance, de provocation, de questionnement. Les élèves sont en situation d'attente de l'adulte, de non-prise d'initiative. L'enseignant se trouve dans une situation identique. Contraint par la lourdeur de son dispositif à circuler d'élève en élève, il ne peut évaluer que le produit fini des travaux des élèves sans considération des chemins empruntés par chacun.


    Accentuation de la dépendance affective et cognitive à l'égard de l'enseignant

    Les observations de classe montrent que l'individualisation de l'enseignement enferme les élèves dans une logique de dépendance. Cette dépendance est d'autant plus forte que ces élèves sont plus fragiles, et osent moins se risquer à des interventions (langagières, manuelles, cognitives).

     

    Dans une classe de grande section, les élèves sont assis sur les bancs face à la maîtresse et au tableau. C'est le moment des rituels, et en particulier celui dit de la météo. La maîtresse s'adresse à un élève, J :
    M : Qu'est-ce que tu vois ?
    J : y a du soleil
    M : y'a du soleil. Est-ce que tu vois des nuages ?
    J : non
    M : regarde la couleur du ciel
    J : c'est bleu
    M : C'est tout bleu ? ah bon ? y'a un petit peu de gris quand même. Est-ce vraiment bleu ?
    J : non
    L : du blanc
    M : ah ! alors qu'est-ce qu'il y a J ?
    J : des nuages
    M : et...
    J : du soleil
    M : ah ben voilà. Tu vas mettre les dessins là-bas sur le tableau. Vous laissez passer J. Donc ce matin, il fait quel temps, J ?
    J : il fait froid
    M : il fait froid, il y a tu nous a dit du
    J : soleil
    M : et des
    J : nuages
    M : tu les accroches. Qu'est-ce qu'il fat rajouter aux nuages ?
    A : le soleil
    M : vas-y, tu accroches le soleil

    J prend l'étiquette représentant le soleil et le pose sur l'emplacement réservé. En dehors de deux interventions ponctuelles, tous les élèves sont restés silencieux, les regards tournés vers la maîtresse.

     

    Très massivement c'est l'enseignant qui valide l'activité d'un élève. Soit par une intervention à caractère moral qui ne donne pas d'indication à l'élève sur la validité de son travail (« c'est bien »), ce qui renforce la dépendance affective et cognitive de l'élève à l'égard de l'enseignant. Soit par des validations qui ne sont pas accompagnées de justification. Des élèves attendent une appréciation à chaque pas de la réalisation de la tâche, attendent l'avis de l'enseignant pour savoir s'ils ont terminé le travail demandé. Ces élèves interpellent sans cesse l'enseignant, ne s'autorisent pas à essayer seuls.

    Lorsque le collectif, grand ou petit groupe, est sollicité l'attitude des élèves face à l'activité change de manière visible. Des élèves interviennent sur la production de leurs pairs pour émettre un avis, proposer une solution. L'observation accompagnée par l'adulte de la production d'un autre élève peut les conduire à reprendre la leur, ils se complètent par des interventions qui s'appuient les unes sur les autres, changent de procédure et de stratégie de réalisation. Ils sont alors en position de prendre en compte le regard des autres, de penser qu'ils peuvent intervenir sur d'autres productions que la leur, ils ne sont pas dans une stricte relation duelle à l'adulte, ils s'inscrivent dans une logique d'essais /erreurs, confrontations. Ils sont dans la compréhension de la forme scolaire, comme espace collectif d'apprentissage.

     

    Différenciation ségrégative et baisse des exigences

    L'individualisation de l'enseignement à l'école maternelle correspond  à une conception de l'apprentissage, explicite ou non qui elle-même renvoie à une conception des réponses qu'il serait nécessaire d'apporter face à l'hétérogénéité des élèves. Elle implique que la difficulté est imputable à l'élève plutôt qu'à ses conditions d'apprentissage. La différenciation est alors pensée comme adaptation individualisée à ce qui est repéré comme difficulté chez tel ou tel élève. Cette adaptation se traduit massivement par une simplification des activités proposées aux élèves en difficulté, avec très souvent la volonté de leur permettre de réussir, alors que les élèves en réussite sont confrontés à des activités plus complexes. Ainsi tous les élèves d'une même classe ne sont pas confrontés aux mêmes apprentissages ce qui a pour effet de creuser les écarts. Face à un élève dans une impasse, l'enseignant :
    -    répète sa consigne avec des mots plus simples, ce qui ne permet pas à l'élève de se l'approprier pas plus que de s'approprier des formes langagières complexes.
    -    a recours à la monstration qui enferme l'élève dans un modèle à reproduire sans avoir les outils d'analyse pour percevoir les conditions de sa production.
    -    propose des activités plus simples telles que la graphie en capitale d'imprimerie plutôt qu'en cursive, réservée à ceux qui font preuve d'une plus grande habileté motrice.
    -    choisit des albums avec moins de texte, écrits dans un langage simple.
    -    propose des activités très contextualisées, dont on sait qu'elles renforcent les difficultés des élèves des milieux populaires, inscrits plus que d'autres dans un rapport pragmatique au monde.
    -    aide par des interventions fréquentes qui peuvent aller jusqu'à faire à la place de.

     

    Enfin, l'individualisation empêche les interactions entre l'individu et son milieu, dont on sait grâce aux travaux de Wallon et de Vygotski qu'ils sont moteurs dans les acquisitions des enfants et la formation des sujets. Elle prive les élèves de la confrontation avec leurs pairs, les enferme dans l'ici et le maintenant de leur développement. Or « le seul apprentissage valable pendant l'enfance est celui qui anticipe sur le développement et le fait progresser »[13].

     


    [1] Ecole et savoirs dans les banlieues et ailleurs  Bernard Charlot  Jean-Yves Rochex Elisabeth  Bautier Colin 1992 retour au texte

    [2] Henri Wallon  retour au texte

    [3] René Amigues Marie-Thérèse Zerbato-Poudou Comment l'enfant devient élève Retz 2000  retour au texte

    [4]  René Amigues ouvrage cité  retour au texte

    [5] Agnès Florin Parler ensemble à l'école maternelle Ellipses 1995  retour au texte

    [6] Qu'apprend on à l'école maternelle page 112 retour au texte

    [7] «  Qu'apprend-on à l'école maternelle ? » CNDP XO Editions 2002  retour au texte

    [8] « Qu'apprend-on à l'école maternelle ? » préface de Jack Lang p.7  retour au texte

    [9] Idem retour au texte

    [10] Agnès Florin ouvrage cité retour au texte

    [11] Jacques Bernardin Comment les enfants entrent dans la culture écrite Retz 1997  retour au texte

    [12] Jacques Bernardin ouvrage cité retour au texte

    [13] Lev Vygotski : Pensée et langage Editions sociales 1985 retour au texte

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