Prévenir, dépister ou enseigner
Prévenir, dépister ou ... enseigner ?
Christine
PASSERIEUX
Responsable Nationale du GFEN
Le gouvernement ne renonce pas.
Du rapport de l'Inserm au rapport Benisti et au carnet de comportement de
Sarkozy, le projet du ministère est la dernière tentative pour trier et exclure.
Les enfants de 5 ans, pourraient être marqués au fer rouge : « Ras »,
à « risque » et à « haut risque ». Si tous les enfants sont
concernés on voit bien que sont particulièrement visés, ceux que stigmatisait
le rapport Bentolila, « ces enfants-là » « en déficit
culturel »[1], qui
n'ont pas la « chance » d'être des héritiers et dont l'avenir
est programmé par les besoins des marchés. C'est le dernier avatar d'une
politique d'exclusion, d'une extrême gravité, en cohérence avec le contexte dans
lequel elle s'inscrit.
Car il s'agit bien d'aller au
bout du tri social et pour le faire admettre la méthode est désormais
éprouvée : nouveau coup de massue pour vider encore plus le métier de son
sens, mais aussi pétrifier et réduire au silence des partenaires éducatifs
abasourdis par la violence de la charge. L'idéologie a la peau dure, qui
criminalise la difficulté sociale, médicalise la difficulté scolaire dans un
même processus d'individualisation socialement ségrégative et d'écrasement des
liens de coopération ou de solidarité, seuls garants d'un possible futur. Les
stratégies pour la faire admettre sont redoutables, lorsque sont convoqués un
apparent bon sens (comment ne pas aider ces « pauvres »
enfants ?) en même temps que le besoin vital de trouver des causes à
l'accroissement des échecs, que l'on soit parent, éducateur, enseignant, pour
ne pas s'en sentir coupable.
Refuser
ce projet c'est dénoncer ce qui le fonde
- La
naturalisation des différences au nom de l'égalité des chances :
les différences entre les élèves se construisent dans des trajets de vie qui
permettent à certains des connivences immédiates avec la culture scolaire alors
que d'autres (plus de 50%) doivent à la
fois « apprendre à l'école et apprendre l'école »[2].
Ces élèves qui n'accrochent pas immédiatement à la culture scolaire ne sont pas
constitutivement en difficulté, car il n'y a de fatalité aux déterminismes
sociaux. Les prédictions auto-réalisatrices (effet Pygmalion) sont la
démonstration du grand danger qu'il y a à étiqueter négativement un élève et ce
d'autant plus que l'on connaît la réceptivité des très jeunes face à des
regards négatifs.
- Les enfants, massivement issus des classes
populaires, ne sont ni malades, ni déviants et pourtant c'est à la médecine que
sont empruntées les « évaluations ». La médicalisation et la psychologisation de difficultés,
socialement construites, individualisent pour mieux enfermer chacun dans la
culpabilité face à ses propres difficultés et se révèlent de surcroît
particulièrement inopérantes. En effet les causes ainsi supposées ne permettent
en rien de comprendre la nature de ce qui pose problème à la moitié des élèves.
L'école maternelle a pour fonction de leur donner les clefs pour entrer dans ce
nouveau milieu, où ce qui se fait et se dit, la manière dont on le fait ou le
dit, peut se trouver fort éloignée de ce qu'ils vivent dans leur famille et
nécessite un apprentissage. C'est la condition de la mise en actes du tous capables.
- Réduire
l'école maternelle à un rôle de prévention c'est renoncer à toute
ambition culturelle, renforcer les attentes négatives en supposant ces élèves
potentiellement porteurs d'échecs plutôt que de réussites. C'est choisir d'appauvrir
les contenus d'apprentissage, de réduire les exigences au nom des risques potentiels,
de réduire l'activité scolaire à l'exercice, dont on sait qu'il n'est qu'une
dimension de l'apprentissage. En oubliant que pour apprendre il faut
comprendre. L'entrainement, comme seule réponse, renforce par ailleurs
l'illusion qu'il suffit de réussir une tâche pour apprendre. Ainsi, plutôt que
de s'enrichir de la complexité du monde, l'horizon des élèves se trouve réduit
à l'exercice mécanique. L'évacuation de
plusieurs champs disciplinaires, qui en appellent à l'action, l'imagination, la
pensée, fait fi de ce qui participe au développement harmonieux de tous. Avec la
« mise au carré »[3]
des comportements pour tout viatique, l'éducation est réduite à une
normalisation aux tristes échos historiques. Or la seule prévention est bien
l'enseignement, c'est-à-dire l'apprentissage de l'exercice de la pensée, qui
prenne en compte tous les élèves, avec leurs différences comme leviers, pour
les faire avancer, tous, dans une progressive autonomie intellectuelle.
- L'assignation
de l'école à trier au plus tôt rajoute à la sélection sociale
la ségrégation scolaire. L'étrangeté du milieu pour certains exige de leur part
un véritable bouleversement dans leur rapport au monde. La multiplication des contrôles, les fortes
pressions exercées tant sur les enseignants que sur les élèves réduisent
l'activité scolaire au bachotage. Apprendre demande du temps mais aussi la
possibilité de tâtonnements, d'erreurs, de régressions. Pour apprendre il faut
un climat serein, où se gagne la confiance en soi, la conscience de possibles.
C'est bien parce qu'ils ne sont pas pris en compte, parce qu'ils se trouvent
enfermés dans des logiques concurrentielles, où la recherche de la performance
évacue le travail de la pensée, où la course de vitesse tue l'imaginaire, où la
personnalisation détruit les solidarités que de nombreux élèves n'entrent pas
dans les apprentissages et disent leur ennui, voire leur peur face à l'école.[4]
Engager
tous les élèves dans le plaisir d'apprendre, en leur donnant les outils
nécessaires à leur réussite : c'est là la mission de l'école maternelle.
octobre 2011
[1]
Rapport Bentolila sur l'école maternelle, 2007
[2]
Elisabeth Bautier, Escol, Apprendre à
l'école. Apprendre l'école, La Chronique Sociale, 2006
[3]
Pas de Zéro de conduite
[4]
Baromètre annuel de l'AFEV