Après
trois années où il fut difficile d'organiser toute manifestation, le secteur
Maternelle du GFEN a renoué avec les Rencontres « Pour que la maternelle
fasse école », le 28 janvier à la Bourse du Travail, à Paris. Placées sous la
thématique « Apprendre à se poser des questions, se poser des questions
pour apprendre », elles furent introduites par Isabelle Lardon qui rappela
le contexte difficile auquel la profession est confrontée : perte de sens
à enseigner, plan maternelle qui affiche un recentrage sur « les
fondamentaux » accentuant une primarisation de cette école sensée pourtant
« engager l'enfant à avoir confiance dans son pouvoir d'agir et de
penser ». Pour reprendre pouvoir sur le métier, la réflexion dans le cadre
de collectifs de travail devient nécessaire : c'est l'objectif du GFEN dans
les différentes actions proposées et ces rencontres sont moins là pour donner
des réponses que pour
se poser collectivement des questions.
Dans sa conférence
d'ouverture, Olivier MAULINI (Université de Genève, laboratoire LIFE)
interroge le statut du questionnement dans la formation. « Si à l'école
comme ailleurs, apprendre c'est passer de ce qu'on ignore à ce qu'on sait... ce
passage est risqué ». Et dans ce cadre qui pose des questions ? Le
plus souvent les enseignants, ce qui fait dire que « l'école est le seul
endroit où ceux qui questionnent connaissent les réponses ... paradoxe
détourné mais qui a ses fonctions ». Dans le cours dialogué, il permettrait de
structurer les expériences tout en introduisant un peu d'interactivité. Mais
cette profusion de questions/réponses favorise-t-elle l'entrée de tous les
élèves dans les apprentissages ? Les choses ne sont pas si simples : humiliation
en cas d'erreurs, rythme inadapté, soumission aux choix de l'enseignant qui
s'adressent plus volontiers à ceux qui savent déjà alors qu'il faudrait
permettre aux plus lents d'exercer leurs capacités. Si « Expliquer empêche
de comprendre quand cela dispense de chercher » (Henri Bassis), suffit-il
de poser des questions aux élèves pour qu'ils s'en posent. Pourquoi ne pas
inverser le schéma du cours dialogué et faire en sorte que ce soit l'école qui
réponde aux questions que les élèves se posent ? C'est en leur donnant le
pouvoir de se questionner qu'ils entreront dans un processus d'apprentissage
plus pertinent basé sur l'ensemble
questionnement/compréhension/émancipation. C'est le pari militant du
GFEN.
Six ateliers pour explorer la
problématique de ces rencontres
Passer du monde réel à
l'univers mathématique
Sophie REBOUL s'appuie sur une proposition d'Odette BASSIS dans son ouvrage
« Dans
Concepts-clés et situations-problèmes en mathématiques, tomes 1 et 2, Hachette
éducation » et présente une situation pédagogique permettant aux
jeunes élèves de passer de la matérialisation réelle d'un problème à une
représentation abstraite gérée mentalement.
Le problème posé à des élèves de grande section est le
suivant : « Maman va au marché,
elle achète 3 oranges et 2 bananes. Combien de fruits a-t-elle achetés ? » Dans
un premier temps le texte est lu sans la question, puis théâtralisé par tous
les élèves avant d'être reformulé. Puis les enfants sont invités à dessiner la
situation, dessin que chacun décrira devant la classe. Pour les faire entrer
dans l'univers mathématiques, l'enseignante leur demande de proposer ce qu'on
peut chercher à partir de la situation proposée, question à laquelle les élèves
répondront par un premier dessin. L'étape suivante consiste à refaire ce dessin
sur ardoise successivement mais en diminuant le temps de réalisation à l'aide
d'un sablier (les élèves vont vers la schématisation). On note que tous les éléments superflus
disparaissent lorsque le mot « rapidement » apparaît dans la
consigne. Cette démarche, répétée à chaque période, aide les élèves à retenir les
données essentielles d'une situation permettant la résolution d'un problème.
Commencer à
écrire tout seul
L'objectif de l'atelier animé par Viviane GHESQUIERE et Corinne
OJALVO est de donner à voir en quoi un travail
régulier sur la langue écrite permet aux élèves de s'approprier le principe
alphabétique et favorise la relation lire/écrire. Cette pratique fréquente,
explicite, guidée par l'enseignante a pour but de réduire les écarts, de lutter
contre les déterminismes sociaux. En demandant aux participants d'écrire des
mots entendus en néerlandais ou de reconnaitre des comptines écrites en
alphabet grec, elles dégagent avec ceux-ci les procédures utilisées et les
problèmes rencontrés puis elles leur proposent d'encoder une phrase composée de différents
mots tirés des comptines en grec. Ces situations d'apprendre à écrire à partir
d'un texte de référence sont puisées dans les travaux d'André OUZOULIAS sur l'écriture
générative. Toutes les phases de travail alternent des temps de mémorisation,
puis de planification collective pour que chaque élève puisse ensuite écrire de
façon autonome, dans son cahier d'écriture, en utilisant les outils mis à disposition
dans la classe. L'enseignante accompagne les enfants éloignés de l'écrit, régule
pour les plus rapides mais elle garde la même ambition pour toutes et tous.
Manipuler, se questionner,
catégoriser
Explorer le monde s'appuie sur la manipulation
d'objets, reflets d'une culture matérielle. Jacqueline BONNARD propose de
passer par le geste pour apprendre à se poser des questions et transformer
l'objet familier en objet d'étude. Très jeunes, les enfants exercent leurs
gestes sur des objets mécaniques simples, parmi eux les objets à manivelle. La
première partie de l'atelier vise à identifier les gestes d'usage et les verbes
d'action associés, les principes techniques ou concepts scientifiques liés à la
manivelle, le tout présenté
sur une affiche. Cette phase préparatoire permet au professionnel, dans le
cadre d'un travail d'équipe,
d'identifier les savoirs à explorer avec les élèves et guider leur recherche
pour passer du geste au concept. Dans un deuxième temps, il est présenté
l'activité proposée aux élèves de moyenne et grande section : manipulation
et tri d'objets à manivelle, identification de l'élément commun, représentation
graphique puis symbolique de la manivelle sans oublier le vocabulaire associé
qui prend place dans une représentation cohérente du monde en interaction entre
fonction d'usage et conception.
S'appuyer sur la notion de quantité
pour construire le nombre Comment,
aborder la résolution de problèmes dans le domaine des mathématiques et inciter
les élèves à se questionner ? Laure COINDEAU nous emmène en petite section pour
aborder la notion de quantité sans passer par la comptine numérique. Comment
faire construire une collection équipotente à une collection de référence ?
Par essais et erreurs les enfants s'approprient le problème posé, intègrent le
vocabulaire spécifique et ajustent les gestes utiles pour résoudre le problème.
En stimulant le questionnement, l'enseignante pose les prémices d'une
interaction entre élèves à un âge où le collectif peine à s'installer. Le suivi
des cheminements individuels montre comment se construit la notion de quantité
au travers de stratégies qui relèvent autant de l'imitation que de la prise de
risque dans un cadre sécurisé sous le regard bienveillant de l'enseignante.
Lire un album «
sans question »
Comment, à partir de la lecture d'un album de littérature jeunesse, mettre des
élèves de grande section en questionnement et faire de cette situation un outil
d'enseignement de la compréhension d'un texte littéraire ? Dans une démarche
inspirée du « problème sans question » proposée par Odette BASSIS, Damien SAGE propose de se
mettre en travail à partir de l'album de Claude PONTI : « Pétronille et ses 120 petits ».
Dans un premier temps, il lit l'album tout en montrant les illustrations, en
faisant des pauses. Lors de ces pauses, les participants sont invités à faire
des remarques et/ou poser des questions. Ces questions sont notées sur des
affiches. A la fin de la lecture de l'album, on repère les questions auxquelles
on peut répondre en repérant les sources d'information : texte ou image,
inférences, interprétations. Avec des élèves, cette phase permet à chacun de
s'exprimer dans le cadre d'une confrontation des points de vue. La richesse
illustrative de certains albums permet de répondre aux trois types
d'interrogation. Une autre façon d'aborder les albums jeunesse en maternelle.
Se questionner pour
participer à des débats philosophiques
Comment s'appuyer sur les questionnements des enfants pour les inciter à
confronter leur pensée et leur sensibilité et développer leur capacité à
réfléchir sur le monde qui les entoure ? Laetitia BISSON utilise
pour cela différentes démarches : photo langage, philo-musique, discussion
à visée démocratique et philosophique. C'est ce qu'elle propose de faire vivre
et analyser aux participants de l'atelier dans un premier temps avant
d'explorer les possibilités de transposition en grande section de maternelle.
Jacques BERNARDIN (Président du GFEN) introduit la conférence de clôture en
interrogeant : « Faut-il poser des questions pour qu'ils s'en
posent ? » et souhaitant caractériser ce que serait une école
qui amène à s'interroger par rapport à une école qui interroge. Il pose le
constat de ce qui se passe la plupart du temps dans les classes : des
élèves invités à répondre à des questions souvent fermées permettant à
l'enseignant de maintenir l'attention, contrôler la compréhension, évaluer les
connaissances plus qu'à les travailler. Contraints par un cadre institutionnel
prônant un pilotage par l'aval, les enseignants ont tendance à se conformer aux
cadres pédagogiques imposés au détriment d'une créativité permettant d'être
concepteur de sa pratique. Une école qui amène à s'interroger, agit sur
plusieurs leviers : ouverture sur l'extérieur, sortie et enquêtes,
situations exploratoires, apprentissage du débat contradictoire entre pairs,
formalisation concertée d'une technique. C'est à ces conditions que se
développe la pensée dans une visée émancipatrice. C'est une école qui amène les
enseignants à se poser des questions sur le métier dans le cadre de
collectifs de travail : enquêtes auprès des élèves, vidéos, entretiens
croisés... Le vécu de démarches ou d'ateliers (comme le pratique le GFEN) permet
au professionnel de s'immerger dans le vécu sensible de l'élève et de se
décentrer pour comprendre ce qui fait rupture. Il est temps « pour les enseignants de reprendre la main
sur le métier, se former à la liberté de pensée pour y former les élèves dans
une dynamique émancipatrice commune ».
A
l'interrogation initiale, on préfèrera : « Suffit-il de poser des questions
pour qu'ils s'en posent ? » qui permet d'interroger la
nature des questions et la pertinence à ouvrir à un questionnement
propice au développement intellectuel.
Ces
Rencontres se sont terminées par un appel collectif (syndicats et mouvements
pédagogiques) à poursuivre l'action « pour que la Maternelle fasse
école ».