Ateliers d'écriture en milieu scolaire
Travailler l'étonnement dans les ateliers d'écriture en milieu scolaire
Michel Ducom
C'est toujours un grand plaisir pour l'enseignant dans un atelier d'écriture de voir des enfants construire ou restaurer leur pouvoir d'écrire. L' étonnement, la fierté ou les inquiétudes des jeunes participants devant les textes affichés ou lus sont exactement les mêmes que ceux de bien des écrivains débutants...
Tout se passe comme si celui qui a écrit entrait dans un nouveau
monde, un monde qui lui aurait été mystérieusement
interdit ou confisqué. Il y a sans doute beaucoup d'illusions
dans cette émotion, et le travail de l'adulte dans les
ateliers suivants sera sans cesse de ramener à la réalité
ceux qui écrivent, pour les prévenir contre de multiples
désagréments et pour qu'ils comprennent qu'est-ce qu'écrire,
afin d'en faire le meilleur usage dans leur vie. Mais cette émotion
est commune aux adultes et aux enfants. Elle signale bien l'importance
de l'acte. Dans un monde envahi par l'écriture - de la librairie
à la publicité sur les écrans, de la bibliothèque
aux notes professionnelles - tout se passe comme si certains avaient
droit à écrire et d'autres pas. Et certains qui écrivent
dans un domaine, professionnel par exemple, n'auraient jamais envisagé
pouvoir le faire dans une fiction, un poème ou un scénario...
Les représentations que les enfants ont de l'écriture
sont souvent plus contradictoires que celles des adultes. Comme eux
ils savent par l'expérience qu'ils ont de la société
que les écritures sont diverses. Ils voient d'ailleurs
bien mieux que les adultes que les romans ne sont pas la seule forme
d'écrit validée par la société : leur
planète écriture est peuplée de publicités,
de panneaux, d'écrits scolaires, d'étiquettes
de marques et d'enseignes... La légitimation hiérarchisée
de certains écrits ne les empêche pas de voir la variété
des écrits. Mais contradictoirement ils savent qu'ils vont
apprendre à écrire, et là ils ont souvent l'illusion
qu'ils vont apprendre un secret valable pour toutes les formes
d'écriture, celles qu'ils connaissent et quelques
unes mal connues qu'ils soupçonnent être celles d'un
monde qui leur échappe, le monde adulte.
De la même façon que certains adultes, ceux qui par exemple
ont des carnets secrets poétiques, découvrent parfois
avec un grand plaisir leur pouvoir insoupçonné de produire
un texte scientifique, les enfants vont de découvertes en découvertes
lorsque grandissent les champs d'application de leur pouvoir d'écrire..
Le pouvoir est une réalité, mais avant de devenir une
réalité sociale, il s'éprouve d'abord comme une
réalité individuelle. Le sujet est confronté à
deux étonnements majeurs qui touchent sa sphère "proximale".
L'étonnement devant la trace produite :
Que ce soit un plaisir régressif ou une jubilation de pouvoir
- au sens de "pouvoir faire", et dans tous les sens imaginables
- le rapport à la trace est une forte expérience personnelle.
Les arts plastiques ou la musique enregistrée en sont aussi comptables,
comme la fabrication d'un meuble ou la production d'un théorème.
Ce n'est pas "propre" à l'écriture, mais la
situation est à prendre en compte, parce que parfois redoutable,
ou narcissiquement dangereuse, ou facteur d'un plaisir intense, ou à
l'origine d'un dégoût de soi incontrôlable...
Nous sommes dans l'imaginaire de la trace. Le langage et l'ordre symbolique
que nous manions si bien, ou si peu, nous échappe et prend les
figures de l'autonomie. C'est moi, mais cela m'est extérieur.
Je croyais "faire" peu et j'ai "fait" beaucoup.
L'adulte enseignant - comme l'animateur d'atelier d'adolescents
ou d'adultes - devra veiller à ce que le sujet puisse "en
dire quelque chose", qu'il puisse aussi en entendre quelque chose
de différent proposé par les autres participants, sous
peine de rester prisonnier de sa découverte.
Il faut que chacun à chaque enfant - puisse accepter cette nouvelle
situation qui est d'ordre imaginaire où de l'inattendu est survenu
dans ses propres codes si sûrs et si bien protégés.
C'est pourquoi il est indispensable que les ateliers d'écriture
à l'école comportent une phase de discussion sur
les conditions de la production des textes, discussion menée
par les enfants participants, et dans un premier temps discrètement
soutenue par l'adulte.
Les enfants parlent alors de ce qu'ils ont aimé, de ce
qui a été difficile, ils mettent en relation cette activité
d'écriture avec d'autres activités de classe.
Bien entendu, le maître peut participer à la discussion
avec des phrases courtes qui portent sur le vécu des enfants.
Il veille alors à faire apparaître au groupe la diversité
des points de vue des enfants.
Ces derniers seront alors vraiment en recherche sur ce qui s'est passé,
la posture de l'adulte n'étant ni celle d'un psychologue, psychanalyste
ou thérapeute , mais celle d'un pédagogue, créateur
d'atelier chargé d'actualiser les potentiels de création
des jeunes participants et de soutenir un débat d'enfants
qui construit de la distanciation sur une activité d'écriture
impliquée et récente.
L'étonnement devant ses propres capacités :
Il n'est pas rare dans un atelier d'enfants d'entendre des critiques
assez virulentes sur d'autres activités scolaires ou familiales
où les élèves témoignent de s'être
ennuyés, d'avoir été négligés...
Ces critiques ne font pas avancer grand chose. Elles sont la plupart
du temps un excellent moyen pour échapper à l'analyse
de ce qui s'est réellement passé dans l'atelier. Mais
elles mettent en valeur la nouvelle façon qu'a le sujet d'apprécier
ses propres capacités. Il se sent investi de nouveaux attributs,
il manifeste souvent qu'il mue, il vit un changement fort de représentation
sur lui-même. C'est que la révolution est copernicienne
: à l'endroit où il se sentait incapable, le voici devant
une évidence, d'autant plus forte qu'il s'infériorisait
plus. Il a réussi à l'endroit exact de ses fatalités.
Ce n'est pas toujours facile à supporter. On voit parfois des
enfants nier la qualité de leur texte même s'il est très
riche. On en voit d'autre essayer de ne plus parler de cette réussite
et se lancer dans mille autre sujets de discussion pour échapper
à cette nouvelle réalité : ils peuvent écrire.
Certains ne peuvent décidément pas démentir leurs
parents qu'ils aiment et qui ne croyaient pas qu'ils y arriveraient,
ni les valeurs de leur milieu d'origine où on ne trahit pas,
quand on est Gitan et de culture orale, ou imprimeur et donc pas du
tout écrivain...
Là encore, le moment bref de la discussion en fin d'atelier,
ou au milieu, va être décisif : il va permettre la relativisation
des position de chacun, des discours sur les "prétendues
incapacités". Si la qualité des textes est interpellée
par les enfants, un travail ultérieur doit être leur être
proposé dans une nouvelle séquence pour qu'ils examinent
en présence du jeune auteur les qualités et les fonctionnements
du texte qui prétendument ne serait pas de qualité. On
peut faire confiance aux enfants en groupe si on leur demande : «
qu'est-ce qui est bien pour vous dans le texte de Pierre ? ».
Ils trouvent de nombreux éléments, y compris au CP. Et
le collectif des "pairs" -les participants - a presque autant
de force que la parole de l'adulte, et surtout il n'est pas une parole
de "maître".
Mais l'étonnement devant les nouvelles capacités peut
provoquer une attitude totalement opposée et tout à fait
ennuyeuse : le nouvel écrivant - bien que tout jeune - se sent
soudain écrivain jusqu'au bout des ongles et à deux doigts
d'obtenir le Goncourt. La divine surprise devient magie divine et l'imaginaire
délirant. Dans ce cas l'adulte, pour éviter tout danger,
se doit aussi d'organiser le débat sur ce qui, dans l'atelier
a facilité, ou au contraire rendu difficile, la production des
textes. Peu à peu, d'une séquence d'atelier
d'écriture à l'autre, le naïf ne manquera
pas de découvrir tout le travail cristallisé par le meneur
d'atelier dans les consignes orales ou écrites, en relief ou
"en creux" la place des textes des autres enfants dans sa
propre production, la force de l'imprégnation des textes d'écrivains
lus en classe, le modèle et la façon de s'en écarter...
L'impatience de l'enfant se heurte alors à une réalité,
et il est nécessaire de proposer des projets de socialisation
: affichage des textes, lectures de l'adulte ou mise en place
d'un mini récital pour une autre classe, affichage des
textes dans la cour... Les obstacles de la réalité
« je ne suis pas un véritable écrivain » reculent
. Les projets sont réalisés en petits groupes ou en groupe
classe et ils sont valorisant pour chacun. L'illusion peut alors
laisser place à la détermination à fortifier longuement
cette nouvelle capacité.
L'étonnement des enfants dans un atelier est une grande satisfaction pour celui qui conduit l'affaire. Mais sans la mise en place d'un travail réfléchi accompli en grande partie par les jeunes eux-mêmes, sans des débats courts mais sérieux sur ce qui est dit et fait dans l'atelier, le risque est grand de laisser les promesses d'émancipation et d'apprentissage de l'écriture dans leur état de promesses, et franchement, avec un aussi joli outil pédagogique, qui marche si bien avec un investissement en formation relativement léger, quel grand dommage ce serait !