Edito n° 123

DIALOGUE n° 123 « Pour une autre réussite au collège : apprendre ensemble » - janvier 2007

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Collège inique ou collège citoyen ?

Michel DUCOM


Le collège unique a donc vécu. Il a sombré sans grand débat à coup d'introduction prématurée de l'apprentissage
qui crée une exception à l'âge de la scolarité obligatoire. Belle régression au moment où certains envisageaient
une prolongation de la scolarité obligatoire de 16 à 18 ans... Il a sombré à petits coups de l'esprit de fatalité qui s'est introduit parmi les acteurs adultes du collège, vite relayé par les familles elles-mêmes... « Non, cet enfant ne peut pas réussir, il pose trop de problèmes... » « il lui faut une classe spéciale, il n'a pas les bases, il n'est pas vraiment un élève... »

Comme il y a quinze ans avec les Classes préprofessionnelles de niveau et les Classes préparatoires à l'apprentissage le collège réintroduit sournoisement des filières d'exclusion qu'il avait abandonnées, tout en s'en défendant. Et le balancier s'est remis en place : quinze ans de filières, quinze ans de tentatives véritables de démocratisation. Repartons-nous pour quinze ans d'errements ? Aujourd'hui des actions de re-médiation, de soutien individualisé, se présentent comme des solutions miracles, mais on sait très bien depuis les travaux de Rosenthal sur « l'effet Pygmalion » qu'elles font presque systématiquement faillite car elles créent à l'insu de ceux qui s'y adonnent des attentes négatives, et que les effets de ces attentes sont tout, sauf négligeables : ils orientent le sens de la moindre activité de l'élève ou de l'enseignant tant que les uns et les autres n'en ont pas pris conscience et fabriquent des handicaps difficilement surmontables. Pour éviter cela, quelle que
soit l'organisation du collège, il faudrait des formations spécifiques en direction aussi bien des apprenants que
des accompagnateurs. Il faudrait leur apprendre à en déceler les effets dans les moindres des pratiques et même sur leur vie personnelle. Nous en sommes loin.

Le collège unique disparaît au profit du collège inique qui va frapper par l'échec scolaire et la sélection précoce
les enfants des familles populaires, en masse, et plus exceptionnellement quelques autres. Le collège unique
disparaît sans avoir été sérieusement évalué. Pourtant si l'on en croit notre regretté ami Jackie Beillerot, Dubet
ou Meirieu qui l'ont défendu, si l'on en juge par la lutte contre le racisme, c'est plutôt une réussite, et si l'on en
juge par les taux de redoublement, le collège unique était un succès à 80 %, puisque c'est le pourcentage
d'une classe d'âge qui va ainsi de la sixième à la troisième sans redoubler, ce qui n'est pas certes la réalisation
du « tous capables ! » mais qui en prend bien le chemin, sans pratiquement d'accompagnement sérieux de formation des enseignants et des personnels adultes. C'est avec moins de formation encore que le collège inique se met en place sous nos yeux, peu à peu, très doucement, sans scandale.
Pourtant aucun des problèmes posés au collège depuis des années n'est vraiment résolu, ni résoluble aujourd'-
hui, sauf par des changements appuyés par de solides formations : l'évaluation en 6ème est insatisfaisante, la
liaison CM2-6ème n'a pas trouvé son rythme efficace, celle 3ème-seconde ne réconcilie pas les familles avec le
collège et génère souvent des échecs.

Les niveaux de lecture des élèves en 6ème sont disparates, ce qui est explicable dans la situation actuelle, et
aussi par le fait qu'un élève, sauf activité très spécifique, n'atteint un bon niveau de lecture qu'en fin de collège.
Mais rien n'est fait pour remédier à cela, la lecture est un impensé du collège. L'autonomie des collégiens dans le
travail est à la dérive, l'activité des apprenants est plus souvent réduite à l'écoute qu'au débat et à la recherche,
au conflit cognitif passionné. La démocratie dans la vie de l'établissement est un voeu pieux que les élèves n'envisagent en général pas... et l'on voudrait que deux ans après, au moment de leurs votes, ils soient devenus des citoyens capables de ne pas se laisser prendre aux populismes et qu'ils participent à la vie sociale ! Et aucune
des mesures actuelles ne va dans un autre sens, alors que c'est bien là que des réformes s'imposent.

Reste aux chefs d'établissements à casser le thermomètre faux qu'on leur a proposé pour évaluer les incivilités
au collège et refuser la répression systématique. Ce qu'ils viennent de faire, en toute connaissance de cause,
car ils ont honnêtement joué le jeu, et qu'un mouvement d'opinion cynique en profite pour les classer,
donc pour les stigmatiser.

Non pas qu'on éradiquera la violence accidentelle ni les incivilités au collège. Qui imaginerait qu'une société
adolescente ou pré-adolescente, en contact avec des adultes formés et responsables, en contact avec d'autres
adolescents aux maturités diverses, n'en profite pas pour interroger la règle jusqu'à ses limites, pour explorer
des possibles au-delà du possible ? C'est bien le traitement de cette situation compréhensible d'exploration
de l'anormalité par l'adolescence qui doit se faire sur un plan éducatif et non systématiquement répressif. On ne
soigne pas la grippe à coup de thermomètre écrivait Eveline Charmeux, ni en laissant le malade s'enfermer
dans sa maladie, et si l'échec scolaire n'en est pas une, la comparaison reste valable ! C'est donc avec des pratiques éducatives de discussion, d'élaborations collectives de règles de vie, mais surtout de recentrage sur les
missions essentielles du collège à qu'est-ce qu'apprendre ? Qu'est-ce que grandir ? à que le collège peut jouer
pour tous les enfants son double rôle. Ce ne sont pas des mots : l'éducation nouvelle en particulier, mais aussi
beaucoup d'enseignants isolés ou en équipes isolées à équipes de projets souvent à ont ces objectifs et les pratiques pertinentes qui les soutiennent. Mais rien n'est fait pour former mieux les personnels, les mettre en
synergie, systématiser le travail sur des échanges critiques de pratiques qui réussissent. Comme si la société
avait besoin pour se reproduire à l'identique de désespérés en masse et d'élites sauvées de justesse de la
catastrophe, ou « naturellement élues » par leur origine sociale et culturelle. Comme si la société avait encore
besoin d'un vieux mensonge sur ladite « inégalité naturelle des êtres humains ». De ce point de vue le collège
qui sélectionne joue une place clef dans le repli de l'école sur soi, alors qu'elle devrait s'ouvrir sur le monde
proche, sur la commune, sur la vie culturelle, sociale, professionnelle, autrement qu'en jetant des apprentis
trop jeunes en direction de chefs d'entreprise qui en ont déjà bien assez, et qui considèrent àau moins pour les
artisans et souvent les PME, qu'ils font déjà un effort réel, et qu'aujourd'hui il faut un minimum de savoir car
les machines, les entretiens, l'organisation du travail ne sont plus ceux du XIXe siècle. Ouverture, prise en charge
collective des problèmes éducatifs rencontrés, formation des maîtres à partir des richesses actuelles qui
existent, débats éducatifs avec les milieux professionnels, autres formes de travail avec les parents, oui, un
autre collège pour tous et chacun est possible. Un collège à esprit citoyen, jusque dans la construction du
savoir et les pratiques de création. Espérons n'avoir pas à attendre quinze ans un éventuel retour du balancier
pour qu'il se mette en place !

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